Un hommage très anglais, fin et drôle aux films d’action américains par l’équipe de « Shaun of the Dead ». Rencontre avec les trois auteurs.
Avec une sitcom (Spaced) et un film (Shaun of the Dead), Edgar Wright (réalisateur et coscénariste), Simon Pegg (acteur et coscénariste) et Nick Frost (acteur et meilleur pote) ont rejoint le club des nerds – ces fétichistes de la culture pop (comics, films de genre, jeux vidéo) – ayant réussi (Peter Jackson, Guillermo del Toro, Kevin Smith). Leur univers adulescent, référentiel et réjouissant est voisin de celui du nerd ultime, Tarantino : leurs personnages ont aussi vu des films, mais au lieu de disserter dessus, ils les vivent comme un prolongement des jeux de cours de récré (on a tous joué à Star Wars, bruitages de sabre laser avec la bouche compris). Vision potache et enfantine, mélancolique aussi, proche d’un Tarantino se rêvant black, femme samouraï ou tout simplement cool. Edgar Wright et Simon Pegg ont l’intelligence d’inscrire un genre, avec un humour très anglais, dans le quotidien. Dans leur précédent film, Shaun of the Dead, le héros tentait de se réconcilier avec son ex en échappant à des zombies. Après ce démarquage comique du film d’horreur (tendance Romero), Hot Fuzz recontextualise le film d’action US (de L’Arme fatale à Die Hard, avec une fixette sur le crétin Bad Boys 2 et l’homoérotique Point Break) via l’histoire d’un flic trop doué expédié dans un village trop tranquille. D’emblée, le trio refuse le mot parodie, “un gros mot”, selon Nick Frost. “Scary Movie est une parodie. Nous préférons le terme d’hommage. A la différence de ces films, en retirant le comique de Shaun of the Dead, vous obtenez un assez bon film de zombies.” Quand Scary Movie et Cie empilent les gags sans queue ni tête, Hot Fuzz prend le temps et le risque de poser un récit et ses personnages, le héros monomaniaque et son gros collègue benêt mais sensible – Pegg et Frost, duo comique à l’alchimie pétillante. Etonnamment, l’action promise arrive tard, après une première partie centrée sur l’inquiétante normalité du village, où des morts bizarres surviennent dans l’indifférence. Dès lors, le bruit et la fureur fusent : une bagarre au milieu de la maquette du village singe les destructions massives des films US ; une supérette est le terrain hostile d’une fusillade ; une mamie se croit chez John Woo. Et les gestes ordinaires (ouvrir une porte, mettre une casquette) deviennent épiques façon Michael Bay, dilatés par un montage mitraillette. Malin, Hot Fuzz joue avec les échelles (G.-B./US) et l’idée américaine du bigger than life. Entre gags idiots mais précis et blagues quasi subliminales (en arrière-plan), le film baigne dans une délicieuse absurdité, que ce soit dans la bagatelle armée ou dans le décalage du superflic – réduit à chercher un cygne égaré ou à surveiller une kermesse. La démesure américaine devient triviale, saisie avec affection (c’est un film de fans) dans son surréalisme. Au jeu des références, Edgar Wright surprend : on avance The Wicker Man, film culte des seventies avec Christopher Lee, pour le climat, il nous répond Coup de torchon (Tavernier, 1981). Telle scène rappelle La Malédiction, il évoque Agatha Christie et “ses meurtriers qui savent toujours quand et où pousser un rocher sur leur victime”, se réclamant d’une tradition british du mystère à la campagne. Quand on lui demande s’il réaliserait un pur film d’horreur – il a signé une fausse bande-annonce pour le Grindhouse du duo Tarantino/Rodriguez et glissé quelques plans gore dans Hot Fuzz –, Wright acquiesce : “Mais rien de basé sur la souffrance. Eli Roth (Hostel) est un ami, mais je préfère une horreur plus suggérée, plus imaginative, comme chez Cronenberg ou Argento. J’adore Massacre à la tronçonneuse, mais je n’ai pas du tout envie de revoir La Dernière Maison sur la gauche.” Surtout, leurs hommages substantiels pointent la tristesse de la nécessité de grandir, de passer des jeux vidéo à la vie à deux, du canapé à l’ANPE. “Nos films reflètent notre public, affirme Frost, une génération de trentenaires pour qui un job n’est plus une fin en soi depuis dix ans : mon personnage est un peu triste, c’est encore un gosse – comme dans Spaced et Shaun of the Dead.” A Quentin Tarantino le trône de Godard de la sous-culture : Simon Pegg, Nick Frost et Edgar Wright s’en fichent et se préfèrent en Nick Hornby. Obsédé, léger, essentiel, attachant, Hot Fuzz, c’est un peu Haute fidélité. Avec des flingues.
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