Sélectionné pour deux films à Cannes (dont Le Jour d’après qui sort cette semaine), Hong Sangsoo, s’il parle difficilement de ses œuvres, parle plus aisément de ses méthodes de travail. Et de son actrice fétiche, sa compagne Kim Min-hee, mégastar en Corée.
Il est fréquent qu’un cinéaste refuse de donner une interprétation de ses films, arguant qu’il s’agit là du travail du critique, pas du sien. Même si c’est exact, il en ressort souvent un sentiment de frustration, l’impression qu’en face de soi l’artiste ne joue pas complètement le jeu. Si Hong Sangsoo pousse ce goût du mystère à l’extrême (d’une façon qui rappelle celle de Lynch), discuter avec lui ne laisse nullement place à cette insatisfaction.
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Au contraire : la simplicité et la beauté des mots qu’il emploie (même en anglais, qui n’est pourtant pas sa langue natale), l’indolence avec laquelle il les prononce, le zen absolu qui se dégage de son corps, de son regard, de son sourire, tout cela concourt à produire un miracle qui redouble celui de ses films.
Plus disert sur le “comment” que sur le “pourquoi”, Hong Sangsoo (particulièrement depuis qu’il est amoureux, voir la fin de l’entretien) ensorcèle autant avec ses mots qu’avec ses images. Car il n’y a aucune différence entre les deux. Car personne aujourd’hui n’a aussi radicalement réduit l’écart entre la vie et le cinéma. Ne manquait qu’une bouteille de soju, sur la terrasse où nous l’avons longuement interviewé à Cannes, où il présentait en compétition Le Jour d’après et, hors compétition, La Caméra de Claire, et nous aurions pu être dans un de ses films.
Quel est le point de départ du Jour d’après ?
Hong Sangsoo – Vous le savez sans doute, je travaille sans scénario. Tout ce dont j’ai besoin pour commencer un film, c’est quelques décors, plus deux ou trois acteurs. Parfois, quelques notes écrites sur un carnet, mais pas toujours. Le reste vient naturellement. En l’occurrence, j’avais envie de travailler avec Kwon Hae-hyo, qui avait déjà joué dans Yourself and Yours (2016), ainsi que dans On the Beach at Night Alone (toujours inédit – ndlr), mais dans des rôles secondaires. Je savais aussi que Kim Min-hee serait également de la partie.
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Quant au lieu central, cette minuscule maison d’édition, j’y avais récemment pris un verre et longuement discuté avec son propriétaire. Ce qui m’avait le plus frappé était son rythme de vie. Tous les jours, il va au bureau à 4 ou 5 heures, avant l’aube, et rentre très tard. “Pourquoi ?”, lui avais-je demandé. “Pour m’échapper de chez moi !”, m’avait-il répondu (rires). Je lui ai proposé de le suivre une journée entière. Il a accepté et, à partir de là, je me suis laissé inspirer. J’ai vu son trajet de la maison au bureau, dans cette atmosphère si particulière qui précède le lever du soleil. J’ai déjeuné avec lui dans un restaurant chinois. J’ai rencontré sa femme, qui joue d’ailleurs son propre rôle dans le film. Et c’est tout. ça me suffit pour commencer un film.
Et ensuite ? Vous improvisez chaque jour le scénario ?
Voilà. Chaque jour, je décide ce qu’on va tourner en fonction de ce qu’on a fait la veille. J’ai progressivement arrêté d’utiliser des scénarios parce que ça ne me convenait pas. Mes trois premiers films étaient écrits. Puis j’ai fait un traitement de trente pages pour Turning Gate. Puis des traitements de plus en plus courts : vingt pages, dix pages, cinq pages, et plus du tout à partir d’Oki’s Movie (il dessine un schéma sur une feuille en même temps qu’il parle). Depuis, je me contente d’écrire les dialogues chaque jour avant d’arriver sur le plateau.
Peut-on dire que c’est de la paresse (rires) ?
Oui, on peut ! (rires) Enfin, partiellement. Je me suis rendu compte que quand je n’avais rien, aucune préparation, quelque chose se passait dans mon cerveau qui me conduisait à des endroits où je n’irais pas sinon.
La pure inspiration du temps présent…
Tout à fait. Le matin, mon cerveau est frais, les idées me viennent. Je les laisse remplir le vide. J’aime cette fraîcheur.
Combien de scènes tournez-vous par jour ?
Entre trois et cinq. Il me faut donc entre neuf et douze jours de tournage, répartis sur trois semaines, car j’ai besoin de faire un ou deux breaks.
Pourquoi avoir filmé Le Jour d’après en noir et blanc ?
Parce que ça me semblait juste. Je n’ai pas d’autre explication… (il répondra la même chose à toutes nos questions sur des détails spécifiques au Jour d’après – ndlr)
Vous dirigez beaucoup vos acteurs sur le plateau ?
Non, pas tellement. Je les choisis très précautionneusement et après je leur fais confiance. Quand je rencontre un acteur, je l’observe et je me laisse séduire ou pas. On boit des verres, je lui raconte des choses personnelles, il ou elle me raconte des choses personnelles… On ne parle surtout pas du film. En général, c’est quelque chose de très concret qui m’intéresse. Un détail de comportement. Parfois, ce peut être un souvenir personnel qui me revient en discutant. C’est instinctif.
Cela vous est arrivé de vous tromper ?
A deux occasions, il y a très longtemps, j’ai eu du mal à expliquer ma méthode à un acteur. Il était rétif à travailler comme je le lui demandais. Mais il a fini par l’accepter. Désormais, ça n’arrive plus ; si on vient chez moi, on sait comme ça se passe.
Vos personnages sont un mélange entre vous et les acteurs qui les interprètent ?
Toujours. C’est une construction entre le tempérament d’un acteur, ce qu’il m’inspire, et mes propres souvenirs, mon propre comportement face à une situation. Même pour les personnages féminins, je ne fais aucune différence (Kim Min-hee nous confirmera que son personnage tient autant d’elle-même que d’Hong Sangsoo – ndlr).
Vous êtes heureux sur un plateau ?
(il réfléchit) Je ne sais pas si j’emploierais le terme “heureux”. Mais je me sens très bien pendant le tournage, oui. C’est un moment où je me sens parfaitement… intégré. Tout est un. Je pars de rien et à la fin j’ai quelque chose. Quand je termine, je me sens épuisé mais c’est un sentiment exaltant. Bonheur est un mot tellement lourd qu’on utilise avec tellement de légèreté… Je préfère l’éviter et dire simplement que je me sens bien. A ma place.
Vous n’avez jamais peur de la page blanche ? Ou parfois, quand vous voyez le résultat, vous arrive-t-il d’être déçu ?
Je ressens encore un peu d’anxiété mais le désir de travailler de cette façon l’emporte largement sur la peur de l’échec. Quant à la déception, je ne la connais pas : ce qui m’importe, c’est le processus. Du moment qu’il est juste, je ne peux être que satisfait du résultat. Mon but n’est pas de parvenir à un effet, je ne me dis pas “avec cette scène, je veux dire ça”. Je n’ai pas de plan global à accomplir. Pas d’objectif donc pas d’échec.
Parmi vos films, il n’y en a pas un que vous préférez, j’imagine…Vous comprenez pourquoi tel film va à Cannes en compétition, et tel autre, La Caméra de Claire par exemple, ailleurs ?
Je n’en ai aucune idée. Pour moi, tous mes films se valent. Ils sont chacun l’expression de moi dans ma plénitude. Je suis content quand on me dit qu’on aime mes films et j’observe que certains sont plus populaires que d’autres mais, personnellement, je suis incapable de les différencier.
Et quand vous ne tournez ni ne montez, vous vous ennuyez ?
Non, j’essaie simplement de vivre ma vie ! C’est difficile à décrire. J’ai globalement une vie assez simple. Avant, je prenais des notes et je les organisais. Désormais, je me laisse inspirer au jour le jour. Donnez-moi de l’argent, une petite équipe, quelques acteurs, et je commence un film demain ! (rires)
C’est exactement ce que vous avez fait l’an dernier à Cannes avec Isabelle Huppert pour La Caméra de Claire, non ?
Je savais qu’elle venait à Cannes et que j’y serais aussi, alors je lui ai demandé si elle serait d’accord pour m’offrir un peu de son temps. Je suis arrivé quelques jours avant le festival pour repérer. J’ai trouvé un restaurant chinois, une terrasse, des ruelles, un café avec un chien, et une plage avec des tunnels qui me plaisaient. Les tunnels, ça a vraiment été le déclic…
Qu’est-ce qui vous inspire chez Isabelle Huppert ?
Sa simplicité. Je lui donne le script le matin, elle le lit, elle le joue, et c’est toujours parfait, je n’ai rien à lui dire (rires). Entre nous, ça marche de façon instinctive.
J’ai l’impression qu’elle vous fait rire, non ?
Oui, beaucoup. Sa façon de marcher, de se tenir debout, de parler. C’est merveilleux.
Et Kim Min-hee, que vous inspire-t-elle ?C’est la quatrième fois que vous travaillez avec elle…
La première fois que j’ai pensé à elle, c’était quelques mois avant le tournage d’Un jour avec, un jour sans. Avant cela, je ne l’avais jamais envisagée… (il réfléchit, prend un air plus grave). Ecoutez, pendant un an, j’ai été très malade. Je ne pouvais rien faire. Un jour, j’ai fini par me sentir mieux, mais pas complètement. J’étais dans un café et je me suis convaincu que je devais tourner quelque chose, même si j’étais encore diminué.
Et soudain, le nom de Kim Min-hee m’est apparu. Comme ça. Alors que je ne m’étais pas spécialement intéressé à elle jusqu’ici, j’ai su que je devais faire un film avec elle. Je lui ai fait passer un message pour savoir si ça l’intéressait de travailler avec moi, elle a immédiatement répondu que oui. Après deux jours de tournage, j’ai réalisé qu’elle était une très grande actrice. J’ai envie de faire de nombreux films avec elle.
Il est de notoriété publique que vous entretenez une relation avec elle, et vu sa célébrité en Corée, cela n’est pas passé inaperçu. Est-ce que ça vous a affecté de vous retrouver sous le feu des projecteurs comme jamais auparavant ?
Ce n’est pas tant ce que disent les gens qui m’importe que ce que je ressens moi, personnellement. Et ce que je ressens pour elle, oui, ça m’a beaucoup changé. Cette expérience m’a appris qu’il était bon d’avoir des convictions. D’être sincère. D’avoir la foi. Avant, mon cœur n’était jamais vraiment libre. J’avais une position neutre. Mais dès que votre cœur se remplit, vous devenez très humble. Vous cessez de pensez que “ceci est juste, ceci ne l’est pas”. Vous cessez de nier, vous acceptez la vie telle qu’elle vient.
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