Tandis qu’ »Un jour avec, un jour sans », son nouveau film, est sorti mercredi dernier, rencontre avec un réalisateur prolifique (au moins un film par an), comptant surtout parmi les plus inventifs et audacieux du cinéma contemporain.
Son nom n’est pas familier à toutes les oreilles, mais on voudrait le dire et le redire à chaque fois qu’un de ses contes moraux atteint nos salles (c’est-à-dire presque deux fois par an) : Hong Sang-soo est l’un des plus précieux cinéastes au monde.
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Héritier évident d’Eric Rohmer, c’est en investissant un état élémentaire du cinéma (des histoires de flirt et de hasard, filmées avec une simplicité minérale) qu’il en est aussi devenu un des plus grands modernistes : sa posture artistique incroyablement détachée, presque stoïcienne, a conduit son œuvre vers un état miraculeux d’ineffable, de gracilité, qui s’allège et s’affine encore à chaque film.
Son tout dernier, Un jour avec, un jour sans, suit la rencontre d’un cinéaste et d’une jeune femme dans une petite ville coréenne, avec cette étrange particularité : l’histoire est jouée deux fois et le film, au bout d’une heure, reprend son point de départ comme un disque rayé. Rayé, et légèrement altéré… Nous lui avons demandé quelques explications.
Comment sommes-nous supposés réagir à une même histoire racontée deux fois ?
Hong Sang-soo – J’ai utilisé la double structure par le passé avec des différences plus marquées, plus évidentes entre les deux parties : un changement dans le récit, une modification de la structure elle-même… Dans Un jour avec, un jour sans, ce sont les attitudes émotionnelles, les expressions faciales, les intonations de voix – des variations légères. J’ai voulu faire un film en deux temps sans que les spectateurs ne puissent rationaliser la coexistence de ses deux parties, trouver la signification de ce dédoublement.
Vous avez tourné la première partie, puis l’avez montée et montrée aux deux comédiens avant de tourner la seconde. Pourquoi ?
S’ils voyaient la première partie, ils ne pourraient pas l’oublier, et ils moduleraient leur manière d’être. Je leur ai donné quelques indications simples. L’actrice : tu es un peu plus seule, recroquevillée. Peut-être, si ces deux mondes sont connectés d’une quelconque et étrange façon… tu es blessée. A cause de cette expérience passée dont tu ne peux pourtant pas te souvenir. L’acteur : une fois que tu vois cette jeune femme, tu te sens inexplicablement connecté, familier avec elle. Tu ne la connais pas, mais ressens une sympathie. Tu n’es pas très honnête avec elle, et ne peux te l’expliquer.
Y a-t-il donc un sortilège, une sorte de basculement magique entre deux mondes ? Est-ce un film fantastique ?
Je n’aime pas ces mots. Ils renvoient encore à des intentions. Je ne démarre pas avec de fortes intentions, mais en fait avec presque rien, c’est mon tempérament. Je n’ai pas de film en tête. Lorsque j’ai une idée abstraite, je la mets de côté et retourne au plus vite à des préoccupations concrètes. Le reste appartient au spectateur, et je veux justement tout faire pour qu’il ne puisse pas établir de logique définitive à la coprésence des deux parties, à mon choix de structure. Je voudrais créer un abandon, un laisser-aller dans le film. On ne peut pas expliquer pourquoi ces deux parties vont ensemble. Ce sont des mondes indépendants. Ils ne sont que deux, mais cela suffit pour dégager l’infinité des possibles. Et c’est pour moi un film qui travaille cette question du possible, et de l’infini.
Avez-vous inséré la statue du Bouddha et le son du gong à la bascule du film en un sens symbolique, où est-ce encore une fois votre art du hasard et l’instinct du tournage ?
On s’attend toujours à ce que les Coréens, voire les Asiatiques, aient un attachement très particulier aux croyances traditionnelles… J’ai vu ce Bouddha et je l’ai trouvé très beau. J’ai aussi été très interpellé par sa taille, tout à fait inhabituelle pour un quartier si modeste. Il est étrangement grand et j’ai eu envie de l’utiliser. Les choix que je fais sont simples et concrets. Le reste, leurs implications, touchent au subconscient : le mien, et celui du spectateur.
Comment se dégager ainsi du poids de l’intention dans votre travail ?
C’est mon tempérament (il s’arrête de parler, et écrit sur un morceau de papier qu’il nous donne : “Ce qui est donné est précieux”). Cela pourrait résumer mes prétendues “intentions”. Au début de ma carrière, je travaillais avec des scénarios. Or même à l’époque, je changeais tout pendant le tournage, simplement par caractère. Je manquais de liberté, en termes de production, pour aller au bout de mon idée, mais je suis quand même arrivé, à partir de Turning Gate (2003), à ne plus avoir que ce que j’appelais des “traitements”. Et même là, c’était encore trop : le nombre de pages a diminué de film en film. Plus tard, je suis devenu totalement indépendant, et je peux maintenant démarrer avec rien. Je trouve un quartier qui me plaît, je décide d’y tourner. Je vais dans les bars et les restaurants, je vois si les tenanciers sont sympathiques, s’ils me laisseraient tourner chez eux. Nous convenons d’une période, d’un rythme. Puis je rencontre les acteurs, je vois si j’ai à leur égard des impressions, des émotions prononcées sur ce qu’ils sont, ou ce qu’ils me rappellent. Je peux me tromper, et ce n’est pas grave ! Le lieu, les personnages, et un tout petit peu d’histoire, juste assez pour tourner la première, deuxième journée. Le reste va tout seul et m’indique de lui-même le mouvement à suivre.
Un personnage dit à un moment que si on lui donne un carnet et un stylo, il ressentira une joie inexplicable. Est-ce vous qui parlez ?
Oui, c’est moi !
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