La scène s’est déroulée ce samedi 16 septembre sur France 2 pendant l’émission “Quelle époque !” présentée par Léa Salamé. Dans une prise de parole courageuse, l’humoriste raconte comment elle a été mise à l’écart après avoir dévoilé son homosexualité. Elle dénonce un milieu du cinéma homophobe.
C’est peu dire que l’intervention de Muriel Robin, samedi dernier, dans l’émission Quelle époque ! présentée par Léa Salamé a provoqué une déflagration. La comédienne y dénonçait une forme particulière d’homophobie à l’œuvre dans le cinéma français. Homophobie complexe puisqu’elle a pour ressort une délégation de ceux qui l’exercent sur celle, supposée, du public. L’homosexualité en soi de tel ou telle interprète ne fait en effet pas problème dans son environnement professionnel où elle est absolument tolérée. Mais elle ne peut en revanche être rendue publique sous peine de casser des mécanismes d’identification prétendument menacés par la connaissance de l’homosexualité de l’acteur·rice si son personnage est hétérosexuel.
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Autant dire tout de suite que tout nous semble parfaitement fondé dans cette analyse. Que l’inconscient collectif de l’industrie du cinéma considère massivement depuis toujours et encore en large partie que seule l’hétérosexualité est universelle et que l’homosexualité est un particularisme. Que régulièrement des stars masculines hétérosexuelles connaissent des pics de reconnaissance avec des rôles d’homosexuels (Tom Hanks dans Philadelphia, Sean Penn dans Harvey Milk, William Hurt dans Le Baiser de la femme araignée, Rami Malek dans Bohemian Rhapsody, Philip Seymour Hoffman dans Capote : tous oscarisés pour l’occasion) mais que subsiste fortement le préjugé que si une vedette gay fait son coming out, elle attise la crainte (auprès de certain·es décideur·euses, auteur·rices, agent·es…) de ne plus être crédible en personne straight.
Et c’est très probablement par crainte de ce rétrécissement du champ fictionnel dans lequel on les envisage que, encore aujourd’hui en France, certains acteurs de premier plan, eux-mêmes césarisés ou pas loin pour des rôles d’hommes hétérosexuels, ont fait le choix de dissimuler leur vie de couple avec des personnes du même sexe. Ce fait est indiscutable. Sa contestation massive sur les réseaux sociaux est le signe arrogant d’une ignorance. Et la façon dont des personnes non concernées par ces mécanismes discriminants invalident la parole des personnes sujettes à ces discriminations est choquante.
L’exception n’abroge pas la loi
On adhère sans réserve au discours de Muriel Robin, jusqu’à cette formule très forte de “la femme pénétrable” comme image exclusive de la femme valorisée par l’industrie du cinéma. Que de tels mécanismes puissent connaître des exceptions, des gradations, des nuances va de soi, et l’énumération sur les réseaux sociaux de ces “exceptions” (elles-mêmes souvent sujettes à discussion) est épuisante. L’exception n’abroge pas la loi ; elle en est souvent une des composantes.
Et c’est parce qu’on adhère profondément à l’analyse de Muriel Robin qu’on se permettra d’y apporter non pas une contestation, mais une précision. Celle de voir malgré tout luire çà et là les signes d’une mutation. L’apport de Ryan Murphy sur ces questions est évidemment décisif : en constituant un pool d’acteurs très majoritairement gays et out, jouant indifféremment des gays et des straights, dans des productions très largement diffusées à la télévision ou sur les plateformes, le producteur a créé une sorte de micro star-system gay opérant comme un cheval de Troie dans l’industrie. Qu’un comédien comme Jonathan Groff, out depuis 2009, ait pu, après s’être fait remarquer dans des rôles de gays dans The Normal Heart ou Looking, obtenir le rôle du profiler hétérosexuel de Mindhunter participe d’un changement. Un équivalent à l’échelle française serait, par exemple, qu’après avoir été largement identifié dans 120 Battements par minute et avoir fait la couverture de Têtu, où il parlait de son amoureux, Arnaud Valois ait pu être casté en flic hétérosexuel ayant une romance avec Marine Vacth dans la série d’Arte Moloch. À l’inverse, la multiplication des personnages gays dans les fictions peut permettre à certains acteurs de développer une sensibilité queer qui les rend visibles et populaires jusque dans des œuvres très exposées (exemplairement Nicolas Maury grâce à Dix pour cent).
Une prise de parole forte
La situation que décrit Muriel Robin est donc à la fois historiquement datée et toujours en grande partie effective (et c’est avec beaucoup d’à-propos qu’elle a répliqué à Léa Salamé avançant que ce qu’elle décrivait relevait de l’ancien temps : “Mais on est dans l’ancien temps”). De fines entailles dans ce régime de représentation permettent néanmoins d’en envisager à terme l’obsolescence. La prise de parole était forte et, au-delà des réflexes d’énervement épidermiques dès qu’une minorité s’exprime sur une question d’inégalité, on espère qu’elle encouragera à un peu plus de réflexion sur ces questions et une accélération des transformations.
Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 20 septembre. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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