La dernière fois qu’on l’a vu, il marchait indolemment dans des rues parisiennes, avant de s’effondrer et ne plus jamais se relever. Une branche d’arbre qui tombe accidentellement sur sa tête, une hémorragie cérébrale subite, les accords entêtants de Spanish Sahara et le falsetto vibrant du chanteur de Foals qui s’élancent crescendo…
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C’est ainsi que ce personnage de vieil amant incorrigiblement jouisseur disparaissait dans une scène très émouvante des Bien-aimés (2011). Le film de Christophe Honoré comptait parmi les très rares prestations d’acteur de Milos Forman. Il nous préparait déjà un peu à sa disparition, survenue le 13 avril.
Du côté des jouisseurs, c’est l’endroit où son cinéma s’est toujours placé, dès ses flamboyants débuts dans la République socialiste tchécoslovaque des années 1960. L’As de pique (1963), Les Amours d’une blonde (1965), Au feu, les pompiers ! (1967) : en trois films impudiques, cocasses, sensuels et insolents, qui, sous l’influence de la Nouvelle Vague française (le jeune Godard en tête) saisissent avec grâce l’esprit d’un lieu et d’une époque, ses envies d’insoumission qui éclateront bientôt lors du Printemps de Prague.
Quittant son pays après l’intervention de l’armée soviétique, il continue aux Etats-Unis d’orchestrer avec fougue la lutte sans merci de l’individu (en quête d’émancipation) avec les institutions (toujours promptes à broyer tout élément perturbateur). C’est le combat de l’adolescent et de la famille (le très touchant Taking off, 1971), des pacifistes et de l’impérialisme (Hair, 1979), du délinquant et de l’institution psychiatrique (Vol au-dessus d’un nid de coucou, 1975, qui vaut au cinéaste son premier oscar), de l’artiste génial et de la société (Amadeus en 1984, second oscar, puis le très émouvant Man on the Moon, en 1999), de l’homme noir dans une Amérique blanche (Ragtime, 1981, une grande fresque âpre sur les fondations criminelles de l’Amérique, qui n’est pas sans rapport avec La Porte du paradis de Cimino, et sera pareillement mutilé par son producteur).
Forman tournait peu, seulement douze longs métrages en quarante-trois ans d’exercice. Avec le temps, ce cinéaste plutôt soucieux d’efficacité dramatique développe une forme de détachement, une altitude de vision où toutes les passions des hommes, toutes les volte-faces de la société, touchent à une forme de dérisoire.
Les Fantômes de Goya, son dernier film injustement mal reçu, montre avec à la fois beaucoup de sagesse et de désabusement la grande versatilité de l’histoire (de l’Inquisition aux conquêtes napoléoniennes), avec la déraison pour seule boussole. Orphelin juif dont les parents sont morts à Auschwitz, exilé de l’Est soviétique et observateur critique de l’Amérique, il savait mieux qu’un autre que toute vérité est relative, et que la croyance dans un absolu engage bien des saccages.
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