Il avait le rire le plus célèbre du cinéma américain, sardonique et gloussant, comme échappé d’entre les dents et jouissant par avance du massacre à venir. Richard Widmark est mort le 24 mars 2008, à l’âge de 93 ans. Homme frêle au visage doux, il aurait pu être un jeune premier romantique, l’égal d’un Henry […]
Il avait le rire le plus célèbre du cinéma américain, sardonique et gloussant, comme échappé d’entre les dents et jouissant par avance du massacre à venir. Richard Widmark est mort le 24 mars 2008, à l’âge de 93 ans. Homme frêle au visage doux, il aurait pu être un jeune premier romantique, l’égal d’un Henry Fonda dont la candeur faisait fondre les cœurs des jeunes filles. Il sera le seul méchant blond du cinéma américain classique. Son premier rôle au cinéma, dans Le Carrefour de la mort d’Henry Hathaway, fixe d’emblée ce qui le rendra fameux et lui interdira les grands rôles sentimentaux.
Dans ce beau polar filmé en décors naturels, il compose, en devenant l’homme qui osa pousser une vieille dame dans les escaliers, un rôle de gangster cinglé qui, après la composition de Paul Muni dans le Scarface d’Hawks, établit les règles maximales du genre. Cette nervosité sadique, aux accents quasi épileptiques et aux extrémités inédites, il en donnera diverses versions, toutes hautes en relief. Version amoureuse folle dans La Femme aux cigarettes de Jean Negulesco où il réussit à faire perdre ses moyens à la femme de tête du cinéma US, Ida Lupino (il fut ainsi un des rares acteurs à savoir donner à un “I love you” des accents meurtriers). Version héroïque chez Ford (Les Cheyennes, Les Deux Cavaliers) qui mena Widmark vers une dureté débarrassée de ses habituels traits pathologiques, impressionnante d’intransigeance. Version ultraséduisante chez Fuller (Le Port de la drogue) qui utilisa sa nervosité au service d’une sorte de pédagogie amoureuse aussi violente qu’efficace, lorsqu’un homme et une femme construisent une histoire d’amour à coups de gifles (reçues par Jean Peters, la meilleure des teigneuses hollywoodiennes). Version impuissante chez Jules Dassin qui, en offrant à Widmark le rôle d’un médiocre aspirant à la gloire dans Les Forbans de la nuit, donna comme arrière-plan à la méchanceté du personnage une faiblesse de caractère. Version bouffonne chez Preminger qui, en lui donnant le rôle du Dauphin dans Sainte Jeanne, sut utiliser son physique d’enfant déviant à l’hystérie aux bords des larmes, génialement associé à la jeune Jean Seberg toute de probité vêtue. Il existe une rare exception dans cette série noire : La Toile d’araignée, où Minnelli plaça certes l’acteur dans un décor adéquat (un asile de fous), mais lui donna le rôle inattendu du médecin-chef. Le génie subtilement maladif de l’acteur, jamais aussi sensible que dans ce film, établit des affinités secrètes entre les normaux et les malades. Acteur unique, il a pourtant deux héritiers, européens et inattendus : le Lou Castel des années 1960 (blondeur désemparée et jeu imprévisible), et le Benoît Magimel chabrolien (revoyez La Fille coupée en deux et son personnage d’héritier infantile et cruel).
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