Hitchcock’s secret notebooks compile les documents de travail laissés par Hitchcock : l’occasion d’étudier de près la rigueur et le désarroi d’un créateur qui ne savait plus à quel saint se vouer. Auteur d’un précieux album consacré à la genèse de Vertigo, Dan Auiler récidive en publiant Hitchcock’s secret notebooks. La quantité d’informations puisées dans […]
Hitchcock’s secret notebooks compile les documents de travail laissés par Hitchcock : l’occasion d’étudier de près la rigueur et le désarroi d’un créateur qui ne savait plus à quel saint se vouer.
Auteur d’un précieux album consacré à la genèse de Vertigo, Dan Auiler récidive en publiant Hitchcock’s secret notebooks. La quantité d’informations puisées dans les archives du cinéaste est impressionnante : photos de tournage, mémos, correspondance et extraits de storyboards, notamment celui des Oiseaux. Mais la part du lion (près de 300 pages) est dévolue à l’étude minutieuse des scénarios dans leurs états successifs, particulièrement ceux de Rebecca et de Marnie.
C’est une mine de renseignements, et aussi l’occasion de réévaluer l’importance accordée par un cinéaste trop vite catalogué comme plasticien non seulement à la mécanique narrative (le suspens), mais aussi à la construction des personnages, voire à la vraisemblance psychologique : ainsi voit-on Evan Hunter (alias Ed McBain), scénariste initial de Marnie, expliquer dans une longue note à Tippi Hedren le dilemme œdipien de l’héroïne, avec le même didactisme un peu naïf que les scènes explicatives du film. Plus étonnante encore est la lettre de Hunter à Hitchcock lui suggérant de modifier la scène de la nuit de noces, pour mieux montrer que Marnie se marie par amour et non par calcul, et l’adjurant de renoncer à la scène de viol, à son sens incompatible avec le personnage de Sean Connery. Hitchcock finit par remplacer Hunter et par conserver la scène, mais le livre ne reproduit pas sa réponse…
C’est à ce titre que ce gros livre est frustrant, tant il ne fait que suggérer l’énormité de la face cachée de l’iceberg. Ainsi Auiler ne publie-t-il qu’une seule scène (paroxystique) du mythique script de Kaleidoscope (alors baptisé Frenzy), tout en suggérant la haute tenue de l’ensemble du projet. Certains films sont laissés de côté (certes, Psychose, La Mort aux trousses ou Complot de famille sont abondamment étudiés ailleurs) et le chapitre consacré à la promotion des films demeure à l’état d’esquisse : ce pavé est trop court, mais offre un aperçu de l’intégrité de la vision artistique d’Hitchcock et de l’inquiétude qui sourd derrière ce perfectionnisme.
Par-delà Kaleidoscope, la fugitive évocation des projets avortés du maître a de quoi faire rêver : dans les années 40, un Hamlet en anglais et en costumes modernes avec Cary Grant ; dans les années 50, une adaptation du roman de David Duncan dont Antonioni tirera Profession : reporter ; ou encore la vie picaresque d’un bandit de grand chemin au xviiie siècle… Et bien sûr l’obsédant Mary Rose, histoire d’amour spectrale de J. M. Barrie, l’auteur de Peter Pan, dont la version scénique montée à Londres avait laissé à Hitchcock un souvenir ébloui, et qu’il accusait abusivement les studios de l’empêcher de réaliser. Autant de projets qui, menés à terme, auraient encore enrichi et nuancé l’image de l’artiste.
Bien sûr, rien n’est plus poignant que de se rappeler ces occasions perdues (à commencer par Kaleidoscope) lorsqu’on considère la dernière période du cinéaste. On voit un Hitchcock hanté par l’insuccès, qui recherche la formule magique pour reconquérir les foules. Il y manque toujours un ingrédient : Le Rideau déchiré bénéficie des stars du moment (Julie Andrews et Newman), mais elles ne s’intègrent pas au système Hitchcock, et le scénario a ses faiblesses ; mais Hitchcock va aussi incriminer (et limoger) Bernard Herrmann, sur lequel le studio et lui-même comptaient pour composer un tube qui lancerait le film (comme Qué sera sera pour L’Homme qui en savait trop). Dans un télégramme au musicien, Hitchcock lui explique qu’un public nouveau, « jeune et exigeant », réclame une musique « plus rythmée », et qu’il est grand temps de secouer la routine hollywoodienne, comme le font les cinéastes européens sous la pression dudit public.
Après l’échec du film, puis le rejet brutal par Lew Wassermann, producteur et ami, de Kaleidoscope, projet visiblement intime et radical, Hitchcock semble renoncer à toute implication personnelle et se contenter de rechercher un thriller assez bien ficelé pour supporter l’adaptation. Après Winston Graham (Marnie), il va donc jeter son dévolu sur Leon Uris (L’Etau), Arthur La Bern (Frenzy), et Victor Canning (Complot de famille).
L’Etau était un projet aberrant et condamné d’avance, même si Uris jouissait d’une réputation de machine à best-sellers (à cause essentiellement d’Exodus), et Dan Auiler l’exécute sans aménité, comme il se doit. Il retranscrit tout de même une conversation enregistrée où Hitchcock et ses collaborateurs tentent de choisir entre l’une des trois fins tournées pour le film, ce qui en dit long sur leur désarroi. A l’inverse, on aimerait en lire davantage sur Frenzy, notamment sur la collaboration entre Hitchcock et Anthony Shaffer, le très estimable auteur du Limier et de The Wicker man.
Dernier trésor : quelques notes griffonnées par Alma Reville, madame Hitchcock. La fidèle scripte commente le scénario du Rideau déchiré, critiquant les invraisemblances ou les obscurités, émettant des suggestions et prévoyant les objections de la censure (« J’imagine que la scène sera tournée sans sous-vêtements par terre »). Auiler précise malicieusement que ces pages sont les seules de leur espèce, mais n’exclut pas qu’il ait pu y en avoir des milliers au fil des ans et des films, esquissant ainsi, au détour d’un chapitre, un personnage mystérieux : la femme qui en savait trop.
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