Rabah Ameur-Zaïmeche s’attaque à un mythe universel avec la sobriété et le regard qui sont les siens depuis toujours. Un film d’une beauté et d’une maîtrise saisissantes.
Une montagne rocailleuse, un soleil de plomb, un homme en djellaba, turban et sandales qui gravit la pente. On entend son souffle, le son de ses pas sur la caillasse. Ainsi débute Histoire de Judas. Western aride ? Péplum minimaliste ? Cinéma primitif ? Légende immémoriale ? Est-on chez DeMille ou chez Renoir, chez Lucas ou chez Straub ? Devinez…
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Depuis Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ?, son banlieue-film inaugural, Rabah Ameur-Zaïmeche s’affirme comme l’un des meilleurs cinéastes français. Après une plongée dans la guerre civile algérienne (Bled Number One) et un manifeste esthético-insurrectionnel sur la condition de travailleur immigré précaire (Dernier maquis), Zaïmeche s’était emparé avec bonheur d’un mythe du folklore français (Les Chants de Mandrin) : il changeait d’époque mais pas de style, persistant dans sa manière sobre, attentive et laconique de filmer ses personnages et ses histoires. Avec Histoire de Judas, qui s’intéresse à un mythe encore plus ancien et plus universel, Rabah Ameur-Zaïmeche prouve qu’il peut tout filmer avec la même force tranquille.
Zaïmeche nous réapprend ce que veut dire filmer un visage
L’homme en djellaba, c’est le fameux Judas. Il va chercher son ami Jésus qui a fini son jeûne et le ramène au village. Les habitants, les Juifs, vivent sous la toise de l’occupant romain. Zaïmeche prend le temps de regarder la vie quotidienne de ces villageois antiques, les filme avec une consistance et une matérialité au présent. Ces paysans de l’aube de l’ère chrétienne nous semblent nos contemporains, comme dans cette scène superbe où une mère raconte à sa fille comment elle a connu son père (où Zaïmeche, digne de Levinas, nous réapprend ce que veut dire filmer un visage). On pense aussi à ces moments où Jésus harangue son peuple. Les Juifs sous domination romaine tels que vus par Zaïmeche sont n’importe quel peuple dominé de n’importe quelle époque ou contexte – y compris des Palestiniens sous le joug israélien. On connaît l’histoire biblique, Jésus finit par être arrêté par les Romains, mais Zaïmeche s’autorise un twist énorme : il ne montre pas la trahison de Judas, au contraire, il fait de lui un disciple de Jésus fidèle jusqu’au bout, comme pour arracher une des racines les plus anciennes et profondes de l’antisémitisme.
Quand le cinéaste filme Ponce Pilate et les procureurs romains dans de superbes scènes straubiennes, c’est avec la même attention que pour les Juifs: politiquement, il est avec les dominés, mais cinématographiquement, il respecte tous les personnages qui passent dans le champ de sa caméra. L’épisode de la crucifixion est de l’anti-Mel Gibson ; pas de montée au Golgotha, pas de mise en croix, pas de pathos sulpicien, pas d’imagerie mille fois vue, juste le chagrin de Judas une fois Jésus mort (ou monté au ciel si telle est votre croyance, mais ce n’est pas montré dans ce film). Toujours le dépouillement, l’ellipse, la placidité du regard, le strict et juste nécessaire pour une vision matérielle, laïque, de ces épisodes bibliques.
L’alliage de la beauté, du courage et de la liberté artistique
Histoire de Judas respire le cinéma par tous les plans. Rabah Ameur-Zaïmeche n’a pas fait seulement un beau film, mais un film courageux, qui suscitera peut-être des polémiques chez ceux, parmi les catholiques, qui sont cramponnés à la lettre de la Bible. Filmer des Juifs, fussent-ils des temps lointains, avec autant d’attention et de respect, quand on est un cinéaste arabe, dans le contexte d’aujourd’hui, ce n’est pas si évident non plus.
Mais l’alliage de la beauté, du courage et de la liberté artistique est une évidence chez Rabah Ameur-Zaïmeche, cinéaste qui semble avancer et progresser à chaque nouveau film, tranquillement sûr de son chemin. Histoire de Judas est un bijou de stylisation épurée, aussi mythologiquement incorrect que filmiquement saisissant.
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