Phallus en latex, sexes de femme en silicone, “doublures bites” pour les gros plans : le cinéma français rivalise d’imagination pour simuler le sexe. Mais il garde jalousement ses secrets.
Quel est le point commun entre World War Z et La Vie d’Adèle ? Entre le blockbuster américain à plus de 200 millions de dollars de budget et la romance lesbienne d’Abdellatif Kechiche, récompensée d’une Palme d’or au dernier Festival de Cannes ? La réponse se trouve à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, dans le petit atelier d’effets spéciaux de Pierre Olivier Persin, l’un des maquilleurs les plus cotés du moment. C’est là, dans quatre pièces nichées au fond d’une cour, envahies de produits chimiques, de têtes découpées et de monstres en latex, qu’ont été fabriqués certains maquillages des deux films. Pour le premier, on ne nous dira rien : la Paramount a imposé par contrat à l’équipe française de ne dévoiler aucun de ses effets spéciaux inventés sur le tournage. Pour le second, c’est un peu plus compliqué : Pierre Olivier Persin peut désormais parler plus librement de son travail avec Kechiche, mais une partie de sa mission était au départ soumise à un accord tacite de confidentialité.
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« La commande était simple : il voulait des maquillages de vieillissement pour les actrices, et un autre trucage à propos duquel la production nous avait demandé de rester discrets. Disons qu’il y avait une petite omerta sur le sujet », raconte le spécialiste dans son atelier. Le sujet sensible en question, c’est un effet très spécial réclamé par Kechiche, dont Pierre Olivier Persin a conservé quelques échantillons qu’il a accepté de nous montrer : des prothèses hyperréalistes de sexes féminins utilisées notamment par les actrices principales, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, lors du tournage de scènes de baise explicites de La Vie d’Adèle. Ce sont de minces tulles en silicone, obtenus à partir des moulages en plâtre du sexe des actrices, recouverts de faux poils pubiens puis repeints en différents tons de couleur chair. Disposés à même le corps, l’illusion est parfaite.
« Les réalisateurs ne souhaitent pas communiquer sur ce genre de trucs en général, et surtout dans le cas de Kechiche, dont le cinéma repose sur un postulat réaliste. Ça casse un peu le mystère », précise le créateur d’effets spéciaux.
S’il peut aujourd’hui dévoiler ce secret de fabrication, c’est que les actrices du film ont brisé l’omerta au Festival de Cannes, confiant à la presse que les scènes avaient été filmées avec des prothèses. Erreur professionnelle ? Sortie calculée ? Ces révélations auront confirmé une chose : le sexe, au cinéma, est un trucage comme les autres. Des prothèses féminines, des pénis en silicone, des plans de coupe sur des doublures nues, femmes ou hommes : le cinéma français a en effet eu recours à de nombreux artifices depuis qu’il a entrepris de filmer le sexe, et il refuse encore d’en révéler tous les mystères.
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Un volume de métal
Selon le spécialiste des effets spéciaux Dominique Colladant, qui bosse dans le biz depuis quarante ans, l’essor des trucages sexuels remonte au début des années 90 en France, avec l’apparition de la “mode des scènes de cul explicites dans les films dits traditionnels”. On sortait alors d’une décennie d’érotisme soft façon 37°2 le matin (1986) de Jean-Jacques Beineix lorsque des cinéastes ont décidé de se confronter réellement au sexe, de ne plus rien dissimuler. Parmi ceux-ci se distingua une femme, Catherine Breillat, qui explorait la question du désir depuis ses débuts (Une vraie jeune fille, 1976) et allait désormais accéder à une nouvelle visibilité avec un mot d’ordre : sortir le sexe du monopole de la pornographie.
“A l’époque, on nous imposait un modèle de représentation unique, il fallait montrer un peu, tout en restant bien à distance : le sexe, ça choquait le bourgeois. J’ai fait des films contre cette censure, contre l’idée qu’il y avait des images interdites”, se souvient la réalisatrice.
De 36 fillette (1988) à Romance (1999), les films de Catherine Breillat exposaient désormais le sexe sans fard (masturbation et fellation plein champ), et d’autres initiatives équivalentes allaient bientôt émerger – jusqu’à l’apparition du sexe non simulé avec le coup d’éclat Baise-moi de Virginie Despentes. “Tout le monde, dans les années 90, voulait avoir sa bite en érection dans son film. Alors comme les acteurs refusaient de se déshabiller, on nous a commandé des trucages”, raconte Dominique Colladant, qui fabriqua des imitations péniennes pour Claire Denis (Trouble Every Day), Jeanne Labrune (Si je t’aime, prends garde à toi) et plus tard Arnaud des Pallières (Parc) ou Catherine Breillat, dont le film Sex Is Comedy montrait les coulisses d’un tournage exploitant des prothèses.
La technique était au départ rudimentaire, calquée sur les postiches de sexes masculins apparus dans les films érotiques de Tinto Brass ou Russ Meyer : on fabriquait un pénis avec un volume de métal, recouvert d’un godemiché soutenu par deux tuteurs, des tiges disposées entre les cuisses de l’acteur. Un simple bricolage qui s’est vite perfectionné au cours des années 2000 : du silicone plus translucide a été exploité pour les faux pénis (même si la base reste un godemiché classique, le moulage d’un corps caverneux étant trop compliqué), jusqu’à atteindre un effet d’illusion saisissant dans certaines scènes – voir le faux pénis utilisé par Denis Lavant dans Holy Motors.
Plus réaliste, plus légère, la prothèse est ainsi devenue la meilleure alternative pour les réalisateurs qui souhaitaient filmer le sexe sans avoir forcément à négocier avec les acteurs. “C’est compliqué de demander à quelqu’un de se mettre à poil. Et puis, en tant que cinéaste, ça indispose, on a l’impression de violenter les acteurs. Avec une prothèse, on évite ce genre de problèmes”, observe Yann Gonzalez, auteur d’un premier long métrage remarqué cette année à la Semaine de la critique, Les Rencontres d’après minuit, où il affuble un personnage joué par Eric Cantona d’une prothèse phallique XXL. Voilà l’intérêt premier de ces postiches : ils permettent aux cinéastes de représenter le sexe plus librement, en même temps qu’ils décomplexent les acteurs vis-à-vis de leur intimité.
“La prothèse est une protection psychologique, c’est une manière d’être plus cool sur le plateau. Dès qu’on l’enfile, on a l’impression de se déconnecter de sa propre sexualité, d’être dans un registre de jeu”, confirme l’actrice Mona Walravens, qui a elle aussi tourné des scènes explicites dans La Vie d’Adèle (coupées au montage du film montré à Cannes). Mais tous les cinéastes ne s’accommodent pas si facilement de la dimension artificielle des postiches, et certains refusent encore d’y recourir. “Même s’il y a eu des progrès dans la fabrication, on voit bien que c’est du fake : la texture n’est pas naturelle, ça brille, les dimensions sont ridicules”, affirme Sébastien Lifshitz, qui a préféré dans son premier film, Presque rien (2000), tourner les scènes de sexe sans trucage (dont une masturbation en gros plan de Jérémie Elkaïm).
Doublure cachée
Quand les prothèses ne suffisent plus, il existe alors une autre technique à disposition des réalisateurs pour mimer le sexe : le recours à des doublures, ou body double. Ce sont des hommes et des femmes, parfois issus de l’industrie porno, recrutés sur un tournage traditionnel (moyennant 500-600 euros par jour) pour remplacer les acteurs dans les gros plans explicites. Alain Guiraudie en a fait l’expérience sur le tournage de son dernier film, L’Inconnu du lac, comportant des plans de baise entre hommes.
“Comme mes acteurs avaient fixé des limites vis-à-vis des scènes de sexe, on a lancé un casting bites. Mais c’est compliqué, il faut que ça fasse illusion, que le corps de la doublure et sa pilosité correspondent bien à l’acteur remplacé. Nous, on avait décidé de ne pas chercher dans le milieu du X, où les physiques sont trop formatés”, explique le réalisateur, qui a fini par trouver sur un site de rencontres la doublure de ses scènes les plus hard – dont une éjaculation en plan rapproché.
Ce genre d’emploi de body double, le cinéma français en est coutumier depuis quelques années : on en connaît dans La Vie de Jésus (1997) de Bruno Dumont ou Pola X (1999) de Leos Carax (des scènes de pénétration assurées par des doublures, créditées au générique), dans Anatomie de l’enfer (2004) de Catherine Breillat (une fellation) ou encore Sade (2000) de Benoît Jacquot (une masturbation). Et comme pour les prothèses, certains cinéastes, par souci de réalisme, sont assez réticents à l’idée d’avouer qu’ils ont eu recours à l’artifice des body double : ce serait reconnaître la tricherie, rompre le contrat de croyance avec le spectateur. Ils préfèrent donc parfois laisser planer un doute sur les méthodes de fabrication des scènes de sexe, sur l’emploi ou non de doublures, au risque, à terme, de nuire aux acteurs impliqués.
Car jouer dans un film contenant du sexe explicite, même simulé, même ayant eu recours à des prothèses, n’est malheureusement pas sans conséquence pour les acteurs, et l’on ne compte plus les carrières qui ont eu à en souffrir. Aux Etats-Unis, Chloë Sevigny a ainsi passé ces dernières années à devoir s’expliquer au sujet du fameux plan de The Brown Bunny (2003) : une fellation qu’elle prodiguait en gros plan à l’acteur cinéaste Vincent Gallo. Lui, affirmait qu’aucune prothèse n’avait été utilisée sur le plateau, tandis que la réalisatrice Claire Denis confiait à la presse avoir reconnu, dans cette scène, le faux pénis utilisé pour son film Trouble Every Day. Mais personne n’a jamais su le fin mot de l’histoire, et Chloë Sevigny, toujours assez vague sur la question, se confronte encore aujourd’hui à la polémique.
En France, Caroline Ducey eut à subir une situation équivalente au moment de la sortie de Romance de Catherine Breillat, dont elle incarnait le premier rôle féminin face au hardeur Rocco Siffredi, avec qui elle partageait des scènes explicites, certaines non simulées : « Catherine m’avait demandé de ne pas parler pendant la promotion, de ne pas dévoiler ce qui était réel ou faux dans les scènes de sexe, se souvient-elle. J’avais 21 ans, aucune expérience, et j’ai vécu la sortie du film comme une violence : tout le monde voulait savoir ce que j’avais fait sur le tournage, je recevais des remarques salaces… Je me suis pris le puritanisme en pleine face. Ensuite, il y a eu l’arrivée d’internet, la récupération des images de sexe du film, sorties de leur contexte. J’ai eu l’impression de perdre mon intimité. »
Voilà ce qui explique sûrement les déclarations des actrices de La Vie d’Adèle de Kechiche : reconnaître que tout est faux, c’est se protéger à la fois des moralisateurs et des voyeurs.
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