La première image de l’indispensable documentaire Hervé Guibert, la mort propagande est celle d’un océan écarlate. Un océan de sang. Ce n’est pas une métaphore. En voix off, le réalisateur David Teboul parle de lui, adolescent puis jeune homme au début des années 80, et comment il fut submergé par le raz de marée sanglant du sida.
Porte voix à sa fenêtre d’une génération à qui son documentaire est dédié, David Teboul est né avec le sida, archétype de ceux et celles à qui il semblait inimaginable, voire grotesque (“c’est trop beau pour être vrai” entendait-on parfois) que l’amour puisse aussi violemment rimer avec la mort, a fortiori dans un premier temps l’amour homosexuel. Et David Teboul d’égrener les noms des célébrités qui tombèrent au front de cette sorte de guerre : de Klaus Nomi à Rock Hudson, de Michel Foucault à Jean-Paul Aron. Chaque nom prononcé est comme la case d’un calendrier de l’avent qui s’ouvre sur un cimetière et l’énumération en forme de monument aux morts plonge dans le gouffre d’une uchronie mélancolique : que penserait Foucault s’il était toujours vivant ? Qu’écrirait Bernard-Marie Koltès ? Comme dans les Idoles, la pièce de théâtre de Christophe Honoré, le récit autobiographique de David Teboul est un ludion affolé et affolant qui gagne ses galons de recul et de sérénité en se fixant sur un seul nom, Hergé Guibert, choix personnel pour David Teboul qui dit avoir été marqué à vie par la lecture de son roman À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie.
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S’en suit un portrait diffracté qui se nourrit de photographies et de planches-contacts de Guibert, souvent inédites, de films super-8 de son enfance, de documents d’archives (sa fameuse apparition en mars 1990 dans l’émission Apostrophes), de témoignages de survivants (dont celui digne et bouleversant de sa veuve Christine Guibert), d’extraits de ses textes et de ses lettres, bien lus par le comédien Nicolas Maury, et surtout d’images puisées dans les quatorze heures de rushes de son premier et hélas dernier film La Pudeur ou l’Impudeur où l’écrivain documenta ses derniers moments de vie.
Mouton en peluche
C’est une malle aux trésors qui raconte un bel enfant aux divers sortilèges entremêlés, amicaux, sexuels et sentimentaux. Thierry Jouno, homme de sa vie, mort du sida en 1992, ou ses amis, les écrivains Eugène Savitzkaya et Mathieu Lindon qui vient de raconter son Guibert chéri dans le livre Hervelino.
Au fil de cette pavane pour un infant défunt, deux ritournelles s’impriment durablement : d’une part, un film super-8 où l’on voit Hervé Guibert tout enfant se tortillant de bonheur dans son lit en enlaçant un petit mouton en peluche. D’autre part, une image extraite de La Pudeur ou l’Impudeur, apparemment plus funèbre et terrorisante, où, nu face à sa caméra vidéo, il boxe dans le vide un adversaire invisible. Tout est dit dans ce grand écart qui fredonne un chapitre inédit et vivant de La mort propagande, essai autobiographique de Guibert paru en 1977 et à ce titre prémonitoire.
Un des plus grands bénéfices de ce bel exercice d’admiration, sorte d’hymne au Sidamour tel qu’il fut chanté par Barbara, c’est qu’il sera vu, espérons-le, par le plus grand nombre et singulièrement par la jeunesse d’aujourd’hui. Pour qu’elle apprenne de ses aîné·es comme David Teboul l’a lui même fait, pour qu’elle réalise qu’à l’heure où, une épidémie cachant l’autre, il n’y a toujours pas de vaccin contre le sida, l’amour en danger de mort n’est pas un archaïsme (“une maladie de vieux”, comme on dit trop souvent) mais qu’il est toujours, plus que jamais, tragiquement d’actualité.
“Hervé Guibert, la mort propagande”, mercredi 1er décembre à 23h05 sur Arte et disponible sur arte.tv.
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