Sa beauté vénéneuse et magnétique, son histoire d’amour avec Luchino Visconti et ses derniers rôles crépusculaires auront contribué à faire de lui une légende de l’histoire du cinéma. Helmut Berger est décédé ce jeudi 18 mai à l’âge de 78 ans.
Helmut Berger faisait partie de ces acteurs magnétiques, dont la simple apparition à l’écran suffit à transfigurer un film, à faire basculer une fiction en documentaire sur le regard porté sur un visage. Après une brève apparition dans le sketch Les Sorcières, Berger entre véritablement dans le cinéma de Visconti avec Les Damnés (1969). Travesti en Marlene Dietrich, il se donne en spectacle devant des hauts dignitaires nazis. Dès cette première apparition, tout est déjà là : les projecteurs sont braqués sur lui, tandis qu’il attire tous les regards et aimante les mouvements de caméra. Sa beauté androgyne perce l’écran, et à partir de ce film, sa simple présence creusera dans la filmographie du maître italien un double-fond, comme si derrière les fresques historiques baroques se lit en filigrane l’histoire d’une passion dévorante pour un acteur.
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On le retrouve en 1970 dans Le Jardin des Finzi-Contini de Vittorio de Sica, dans lequel sa beauté apollinienne irradie de nouveau. Pourtant, toute la singularité de l’acteur repose sur une duplicité : derrière la perfection de sa plastique, se lisent subrepticement des fêlures, qui révèlent le fond dionysiaque de l’acteur. Déjà, sa première apparition dans Les Damnés se concluait par un regard enflammé de rage, où le personnage, meurtri dans son ego, ne supportait pas que l’on détourne son attention de lui. En un instant, l’assurance de sa séduction peut basculer dans la démence et l’hystérie. C’est ce qui le distingue profondément de la beauté d’Alain Delon. Celle de Berger est située au bord de l’abîme, toujours susceptible de se transformer en un visage monstrueux et effrayant.
Un regard attirant et inquiétant
Plus qu’aucun autre Visconti aura réussi à filmer et saisir cette présence vénéneuse, qui, selon le cinéaste italien, incarnait “mieux que quiconque la perversion”. Dans Ludwig : Le Crépuscule des dieux, puis dans Violence et Passion, le regard félin de l’acteur autrichien trouble et attire, tout autant qu’il inquiète. Il s’empare de notre regard, tandis que nos yeux sont rivés sur chaque inflexion de son jeu imprévisible, qui peut à tout moment renverser le registre du film. L’acteur s’apparente à une plante carnivore, dont la beauté fascine, mais qui, en un éclair, peut devenir puissance de dévoration.
Nous rencontrions cet “ange de la mélancolie” en 2011, lors du Festival Lumière, où l’acteur nous confiait qu’il portait toujours en lui le deuil du cinéaste : “J’ai été veuf à l’âge de 31 ans”. La mort de Luchino Visconti en 1976 constitue l’un des drames de sa vie, qui marque ensuite le déclin progressif de sa carrière d’acteur. S’il enchaîne les rôles dans des films de série B, son aura magnétique a tout de même laissé une trace indélébile dans l’histoire du cinéma et certains grands cinéastes feront encore appel à lui : Coppola lui offre un rôle dans Le Parrain 3 en 1990, tandis que Claude Chabrol lui confie le rôle de Fantômas dans sa série éponyme de 1980, où l’acteur multipliera une nouvelle fois les masques et les identités.
Une vie d’excès et de passions
Au regard de sa trajectoire et de sa carrière, Helmut Berger s’apparente au Dorian Gray de l’histoire du cinéma (il incarnera d’ailleurs le personnage d’Oscar Wilde dans un film oublié de 1970). Alors que l’éclat de sa beauté et de sa jeunesse illumine le cinéma des années 1970, l’acteur mène en parallèle une vie d’excès et de passions (comme il le relate lui-même dans son autobiographie). Mais cette vie incandescente finira par laisser ses marques. Dans ses derniers rôles, le souvenir de sa beauté d’antan confère une émotion bouleversante à ses apparitions. Bertrand Bonello aura ainsi l’idée géniale de lui faire jouer un Saint-Laurent vieilli et abîmé, tandis qu’Albert Serra le sollicitera pour son film libertin et décadent, Liberté. Entre de nombreux passages à vide, les regards de ces auteurs auront donc réussi à raviver l’éclat d’une légende passée, comme autant de résurrections qui illuminent le cinéma de sa présence crépusculaire.
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