Michael Mann catapulte à l’ère de la cybercriminalité son rêve d’un cinéma labile et gazeux. Eblouissant.
Depuis l’annonce du projet, le mystérieux titre du dernier film de Michael Mann (Blackhat, traduit pour l’exploitation française en un plus familier Hacker) suscitait de vives attentes et de nombreuses interrogations. Après avoir pris en charge au cours des années 2000 la mutation numérique du cinéma américain à la faveur de quelques chefs-d’œuvre de l’âge des caméras haute définition (Collatéral, Miami Vice, Public Enemies), quel allait être le nouveau tour de force du cinéaste ? Comment allait-il appréhender le sujet du hacking ? Quelle nouvelle forme allait-il inventer pour mettre en scène l’ère d’internet, celle des algorithmes et de la cybercriminalité ?
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L’auteur évacue toutes ces questions dès l’ouverture du film, par une saisissante symphonie virtuelle figurant depuis l’intérieur d’un ordinateur l’opération de piratage qui mène à une catastrophe nucléaire, du premier clic effectué sur le clavier d’un hacker à l’explosion d’une centrale. Ce long et virtuose plan-séquence, composition entièrement numérisée entre l’abstraction picturale et le schéma scientifique ultra précis, lance le film sur la piste trompeuse d’une aventure formelle sur le motif des réseaux informatiques. Trompeuse, car Michael Mann ne se souciera ensuite que très peu de l’objet “hacking”, et il pourra en cela décevoir ses fans qui attendaient une nouvelle révolution plastique de la part du dernier auteur à réellement penser les formes du cinéma d’action américain.
Ce qui intéresse Michael Mann ici, ce n’est pas le hacking comme mécanisme technique, mais plutôt comme l’expression terminale d’un monde déréalisé, un monde sans univers palpable, sans frontière et sans héros, produisant chez le cinéaste un sentiment de mélancolie qui nimbe le film d’un épais voile de fatalité. Une fois passée sa brillante exposition, Hacker revient ainsi aux termes les plus classiques du thriller géopolitique (deux spécialistes s’associent pour lutter contre un cybercriminel qui menace l’économie mondiale), une sorte de variation fantomatique de la série Jason Bourne, dont les enjeux auraient été dévitalisés. Ici, on ne retrouve plus les voyous mythiques ni ces puissantes figures italo-américaines qui ont peuplé la filmographie de Michael Mann ; les nouveaux héros sont éteints, presque transparents, à l’image de Chris Hemsworth (surnommé littéralement “The Ghostman”), grand blond au visage secret, sinon inexpressif, qui porte en lui tous les stigmates du monde virtuel dont le cinéaste fait le portrait.
A travers ce personnage indéchiffrable, dénué de toute pesanteur psychologique, Michael Mann atteint la formule la plus radicale de cet idéal de cinéma abstrait qu’il poursuit depuis le milieu des années 2000, brouillant un peu plus la frontière entre mainstream et art expérimental. Loin de la sécheresse hyperréaliste de Public Enemies, il renoue avec son rêve de blockbuster comme pure expérience sensitive, assemblage composite de nappes sonores et d’images hypnotiques constituant une atmosphère voluptueusement irréelle. Planante.
Hacker apparaît ainsi comme une anomalie totale à l’échelle hollywoodienne, un thriller au rythme languissant scandé par des séquences d’action qui puisent leur inspiration du côté du cinéma asiatique. Deux pôles d’Orient aimantent la mise en scène de Michael Mann : celui du vieil héros hong-kongais Tsui Hark, auquel on pense lors de fulgurantes scènes de fusillade ultra chorégraphiées ; et celui du Taïwanais Hou Hsiao-hsien, dont l’ouverture flottante et technoïde de Millennium Mambo semble influencer chaque plan du film.
Mais le prodige de Hacker est que cet accomplissement formel ne se fait pas aux dépens du récit ni de l’écriture du cinéaste, qui atteint une sophistication inédite, en particulier dans son traitement des personnages secondaires. Ils sont nombreux ici, telle cette femme flic endeuillée par les attentats du 11 Septembre, à laquelle le film rendra hommage via un plan fugace et bouleversant sur une tour luminescente de Hong Kong ; ou cette autre femme, complice et amante du héros, à qui Michael Mann offre la partition la plus vibrante de son Hacker. C’est grâce à elle que le personnage fantomatique de Chris Hemsworth se révèlera enfin, et accomplira dans un dernier geste la destinée de toutes les grandes figures anar et romantiques du cinéma mannien : vivre hors la loi.
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