Le cinéaste de Will Hunting et Elephant travaille par cycles : sa période hollywoodienne, sa période expérérimentale, sa période politique et télé… Tandis que sort la semaine prochaine Nos souvenirs, son nouveau film avec Matthew McConnaughey, et que la Cinémathèque française lui rend hommage avec une rétrospective et une expo, exploration des grands moments qui scandent une des oeuvres les plus fascinantes du cinéma contemporain.
1987-1993 : les années beatnik
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Gus Van Sant est très marqué par le mouvement beatnik, ses grands auteurs (Kerouac, Ginsberg) et ses principaux fétiches (la route, les ciels américains où filent les nuages, les vagabonds magnifiques…). Féru de cette avant-garde littéraire, le cinéaste a même adapté pour un de ses court-métrages d’étudiant un texte de William Burroughs (The discipline od DE). Burroughs collaborera d’ailleurs plusieurs fois avec lui, incarnant même un petit rôle savoureux dans Drugstore cowboy (1989).
Dans ce road-movie, délinquance et drogues se conjuguent. GVS poussera cet esprit underground dans ses retranchements les plus kitsch dans Even cowgirls get the blues, adapté du roman d’un autre auteur culte proche du mouvement beat, Tom Robbins. Uma Thurman y campe une autostoppeuse mutante, flanquée d’un pouce surdéveloppé qui lui permet d’arrêter dans sa course n’importe quel automobiliste. Avec ses cow-girls lesbiennes et ses personnages de grandes folles sans filtre, le film comporte des outrances à faire pâlir Almodovar.
Il connait un échec public absolu et ruine un peu la bonne réputation que le cinéaste a acquise avec le film précédent, My own private Idaho (1991). My own private Idaho est de fait le premier chef d’oeuvre du cinéaste, le portrait vibrant de deux tapins à Portland, interprétés par deux jeunes stars en herbe, Keanu Reeves et River Phoenix. Le film incarne la quintessence de la première figure de Gus Van Sant : le super auteur indépendant, imposant un univers perso très identifiable (la défonce, l’homosexualité – présente dès le premier long-métrage, Malanoche, 1987) et un style qui mixe l’héritage contre-culturel des années 60 avec un style syncopé de MTV. Le tout agrémenté d’un travail sur les fétiches de l’Amérique – la signalisation routière, les paysages de l’ouest, l’imaginaire du western, les stations-services… – proche de la grande photo américaine de la deuxième moitié du XXè (William Eggleston en tête).
1995 – 2000 : les années Hollywood
Après la catastrophe commerciale d’Even cow girls, Gus Van Sant se réinitialise. Il décide de devenir un réalisateur plus hollywoodien, acceptant des scénarios de commande, bossant au service des stars, visant un public désormais plus large. Il n’est ainsi pas l’auteur du scénario de Prête à tout (1995). Mais il se l’approprie et réussit une satire pétillante de l’Amérique marchande et de la grande vanité de son imaginaire. En grande fille psychopathe dont le seul désir est de devenir une star de la présentation météo, Nicole Kidman est géniale. Le cinéaste gagne définitivement la confiance des grands acteurs de son temps.
Avec Will hunting, écrit et interprété par Matt Damon et Ben Affleck, GVS célèbre l’amitié masculine, comme toujours, mais aussi la rédemption par l’éducation. Le film est son plus grand succès, bénéficiant de l’explosion de ses deux stars débutantes, mais aussi de la participation d’un des acteurs les plus bankables des années 90, Robin Williams en papa psy qui sait y faire. Le film dépasse les 100 millions de dollars de recette, obtient l’oscar du meilleur scénario. Gus Vant Sant désormais un cinéaste puissant et populaire. Suffisamment pour faire produire par les grands studios un projet délirant : un remake de Psychose d’Histchcock plan par plan.
Adapter Hitchcock est à l’époque très à la mode. Mais cette vogue génère des films généralement pas terribles, comme Meurtre parfait (avec Gwyneth Paltrow et Michael Douglas d’après Le crime était presque parfait). L’usage était de mettre Hitchcock à la sauce du thriller des années 90, de l’adapter aux codes de l’époque (si possible les plus grossiers). La folie de Psycho de GVS est de respecter le découpage initial et du coup de pointer ce chef d’oeuvre patrimonial comme un objet industriel périmé, d’exhiber même son archaïsme. Le film dialogue du coup avec tout un courant de l’art contemporain de l’époque.
Quelques années auparavant, Douglas Gordon projetait le Psychose d’Hitchcock de façon tellement ralenti qu’il durait désormais 24 heures (la durée de la projection rejoignant ainsi la durée diégétique). Pierre Huyghes avait aussi réalisé en 1994 un remake dans un HLM et en DV de Fenêtre sur cour. Gus Van Sant, issu des Beaux-arts, dialogue avec cette nouvelle génération d’artistes contemporains hantés par le cinéma classique (pour le déconstruire) et il réussit le coup de maître de réaliser un film pour les galeries dans l’économie des grands studios. A ses côtés, Vince Vaughn, Anne Heche, Viggo Morensen, Julianne Moore prêtent leur concours à ce détournement. Fin de la parenthèse hollywoodienne : A la rencontre de Forrester (2001), surfe sur le succès de Will Hunting et met à nouveau l’accent sur la pédagogie et la transmission. Sean Connery y campe un vieil écrivain, qui n’a pas publié depuis des décennies et vit caché. Un hommage à une autre grande influence de GVS, JD Salinger, avec qui il partage un interêt plus qu’aigu pour l’adolescence.
2002 – 2007 : les années expérimentales
Tout à coup, le cinéaste change à nouveau radicalement son fusil d’épaule. Il semble s’être soudain immergé dans l’étude des auteurs européens les plus pointus et s’en inspire. Pour Gerry (2002), errance dans le désert de deux comédiens (Matt Damon et Casey Affleck) tournée quasiment sans scénario, GVS affirme s’être à la fois inspiré du jeu vidéo Lara Croft et du Tango de Satan, film-fleuve radical du Hongrois Bela Tarr. Les longs travellings, la marche, le tournage au steadycam se retrouveront dans son film suivant, Elephant, où il met en scène une tuerie estudiantine inspiré du massacre de Columbine. Un drame fort et stylisé qui s’appuie sur un moyen métrage expérimental de l’Anglais Alan Clarke, dont il reprend le titre.
Conçu d’abord comme un simple téléfilm pour HBO, le film est envoyé à Cannes, pris en compétition et récompensé de la Palme d’or par un jury présidé par Patrice Chereau. Elephant vaut à son auteur son plus grand succès en France : près de 800 000 entrées. Aux USA, en revanche, il n’est distribué que dans une combinaison minuscule. Pendant toute cette période, GVS disparait pour l’Amérique. Ses films ne sont plus vus que dans les grands festivals et les circuits d’art et d’essai européens. Il est célébré comme un génie dans les médias français mais à Hollywood, on l’a oublié.
Son film suivant, Last Days (2005), recrée de façon distanciée les derniers jours du chanteur suicidé de Nirvana, Kurt Cobain. Comme Elephant, le film, sublime et déchirant, est inspiré par le chef d’œuvre minimaliste Jeanne Dielman de Chantal Akerman, dont il reproduit la répétitivité des axes de caméra et des actions, la fixité des cadres, le respect des durées réelles. Cette période de vol plané poétique se termine avec un teen movie très grinçant sur le skate board, qui fait le lien avec sa première période (y compris par l’inclusion de séquences super 8). Le film obtient à nouveau un prix au festival de Cannes en 2007. Mais déjà, l’heure tourne, il est temps pour Gus de reconquérir l’Amérique.
2008 – 2015 : les années politiques
Le film du retour, c’est Milk (2008), un biopic du militant gay assassiné Harvey Milk, devenu maire de Castro, arrondissement de San Francisco ou a explosé la scène LGBT américaine des seventies. Il est incarné par Sean Penn, qui à l’occasion récoltera son deuxième Oscar. Le film est aussi le deuxième réalisé par Gus a obtenir l’Oscar du meilleur scénario. Il inaugure une période nouvelle de l’oeuvre : moins ambitieuse formellement, presque conventionnelle, mais soucieuse de transmettre un message politique.
Après un film plus léger où l’auteur décline sur un versant un peu soap son obsession pour l’adolescence et la mort (Restless, 2011), Gus Van Sant revient à la question du politique par l’entremise de la télévision. La série Boss (2012), qu’il produit et dont il réalise le premier épisode, fait le portrait d’un maire de Chicago rongé par le cancer et les affaires de corruption. L’année suivante, Promised land (1993) enfonce le clou du militantisme. Le film incarné et co-scénarisé par son comparse Matt Damon, est construit comme un western classique, fustigeant les multinationales extractrices de gaz de schiste.
A la suite de quoi, le cinéaste s’enlise dans The Sea of trees, traduit Nos souvenirs pour sa sortie française, le 27 avril prochain. Sur une trame pourtant pas sans rapport avec Gerry (le survival de deux hommes perdus dans la nature), l’identité du cinéaste parait se dissoudre, s’évapore au grès des aphorismes sentencieux sur l’amitié, la mort et l’empathie. Peut-être pour résoudre cette crise d’inspiration, le cinéaste revient à nouveau à la cause LBGT et au militantisme. Mais aussi à la télévision. La mini-série When we rise, à découvrir en 2017 (qu’il produit et dont il a réalisé le double premier épisode) retrace la conquête des gay rights par quelques figures pionnières à partir de la fin des années 60.
Jean-MarcLalanne et Vincent Ostria
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