Chaque nouvelle vision de Gun crazy vient conforter sa réputation de chef-d’œuvre de la série B, tant cette banale histoire d’amants hors la loi parvient à un équilibre miraculeux entre impératifs économiques et invention esthétique, les limitations de budget et de temps contraignant le talentueux Lewis à inventer des solutions de mise en scène aussi […]
Chaque nouvelle vision de Gun crazy vient conforter sa réputation de chef-d’œuvre de la série B, tant cette banale histoire d’amants hors la loi parvient à un équilibre miraculeux entre impératifs économiques et invention esthétique, les limitations de budget et de temps contraignant le talentueux Lewis à inventer des solutions de mise en scène aussi lumineuses qu’inédites, tel ce légendaire hold-up filmé en un unique plan-séquence depuis l’arrière de la voiture, sans que jamais la caméra ne pénètre dans la banque. Pourtant, ici, nul maniérisme ni systématisme, mais une simple adéquation entre des contraintes matérielles et la logique narrative, autant qu’un désir de variation : le film nous a déjà montré d’autres braquages, et cette fois l’important n’est pas l’acte en lui-même, puisque le danger se situe au dehors, avec la présence imprévue d’un flic qui devient un effet de suspens plutôt que de surprise.
La grandeur de Gun crazy est ainsi de renouveler à chaque instant son traitement de situations archicodées, les expédiant en deux plans fulgurants, compressant le temps par le montage, ou au contraire jouant du temps réel pour exacerber la tension. Charles Tesson soulignait les fluctuations rythmiques d’un film qui joue moins sur la vitesse que sur un tempo infaillible, pour un récit moins rapide que dense. Ici, la beauté naît de l’hétérogène, entre lyrisme et sécheresse : le recours à des procédés documentaires évoque le néoréalisme (un couple vu à travers un pare-brise, c’est déjà Voyage en Italie) et annonce la désinvolture d’A bout de souffle (un hold-up, c’est la traversée d’une ville), alors que le film se permet une stylisation quasi féerique, comme dans les flash-backs sur l’enfance du héros et surtout la séquence du voyage de noces, dont les transparences avouées dénoncent l’idylle comme illusoire ; quant à la fin, dans la brume des marais, c’est à la fois Mizoguchi et La Chasse du comte Zaroff.
Surtout, le film ne s’appuie sur aucun alibi moral : les amants criminels ne sont le jouet ni d’un fatum de tragédie (comme Les Amants de la nuit de Ray) ni d’un contexte social (comme Bonnie & Clyde chez Penn), mais de leurs seules pulsions aussi irrésistibles que contradictoires ; le grand benêt aime les armes mais pas la violence, l’adorable garce aime le luxe mais aussi son homme, le désir est une fuite en avant. Et ils sont enchaînés l’un à l’autre autant par une attraction/répulsion que par un appétit de fiction : quand Peggy Cummins lance « I want some action! », c’est un cri de metteur en scène. En Angleterre, le film s’appelait Deadly is the female. On aurait pu dire : tout récit court à la mort.
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