Sorti en 1985 dans le circuit vidéo underground du Japon, le film d’horreur Guinea Pig est devenu en quelques années un objet de culte, une légende urbaine. Considéré par certains comme un snuff movie, le film provoqua la colère du FBI au début des années 90 et fut impliqué dans l’une des plus terribles affaires criminelles jamais survenues au Japon. A l’occasion de la sortie de son remake américain, enquête sur une franchise sulfureuse, qui n’en finit plus d’attiser les passions et mystères.
Quelque part à Tampa, en Floride. Deux jeunes femmes sont kidnappées. Emmenées dans une ferme abandonnée, elles sont enchaînées sur un lit d’hôpital, déshabillées, puis droguées pour rester dans un état de semi-conscience. Leur calvaire peut alors débuter : pendant plus d’une heure, les victimes subiront une série de tortures en tout genre, elles seront démembrées, dépecées, énuclées, violées, éventrées, et enfin décapitées au couteau par leurs tortionnaires, trois illuminés arborant des masques sataniques à l’effigie de Baphomet.
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Tournée dans des conditions ultra précaires, à l’aide de caméras DV renforçant l’effet clandestin des images, la vidéo, franchement insoutenable, imite en tout point le style des “snuff movies”, ces films illicites captant des vraies scènes de meurtre ou de torture, dont l’existence provoque encore aujourd’hui la controverse. Or c’est en réalité un long-métrage de fiction, baptisé American Guinea Pig : Bouquet of Guts and Gore, et signé par le très sulfureux Stephen Biro, un cinéaste et producteur américain à l’ambition simple: « réaliser le film le plus scandaleux et dégueulasse de tous les temps ».
« Avec American Guinea Pig, j’espérais que les spectateurs se pissent dessus, qu’ils soient dévastés par ce qu’ils voient. Je voulais faire un truc gore et radical, qui repousse les frontières du réalisme », nous explique ce fanatique du cinéma bis depuis son bureau de la ville d’Oldsmar, Floride.
Avec quelques potes, dont l’illustre spécialiste des effets spéciaux Marcus Koch, il s’isola alors pendant six jours dans une vieille ferme pour mettre en boîte son film scandale, bénéficiant d’un budget limité de 25 000 dollars.
« Six jours hyper intenses et électriques », se rappelle l’actrice Ashley Lynn Caputo, qui tient le rôle d’une des victimes dézinguées par les satanistes. « Le tournage s’est fait dans des conditions extrêmes, en été, dans une grange sans électricité où je devais rester alitée pendant des heures, le corps recouvert de prothèses et de faux sang. »
« Tout ce qui comptait, c’était le réalisme des effets gore, continue Rogan Russell Marshall, qui incarne l’un des tortionnaires du film. Stephen était excité comme un malade derrière sa caméra, il voulait que l’on aille à fond dans le trash. Il avait conçu des scènes de tortures très sophistiquées, dont une où je découpe le ventre d’une fille au hachoir pour en extraire les boyaux. L’atmosphère était folle sur le plateau, on sentait bien qu’on participait à un truc hors norme, qui allait faire parler ».
« Un deal bien juteux »
Et ils ne s’étaient pas trompés : à peine sorti aux Etats-Unis, le film fait la tournée des festivals de genre, s’écoule à près de 100 000 DVD et obtient son visa de distribution pour des pays étrangers, dont l’Allemagne et bientôt la France, où il sera disponible en vidéo courant janvier. « Un deal bien juteux », exulte son auteur, Stephen Biro, qui ne cache pas l’aspect opportuniste de l’opération.
Mais derrière la petite success story de cet entrepreneur du gore se cache en réalité une autre histoire, une légende urbaine qui n’en finit plus d’attiser les passions sur Internet. American Guinea Pig n’est en effet que le simple remake d’un film japonais, Guinea Pig: Flowers of Flesh and Blood, une vidéo qui fit scandale dans les eighties, provoqua la terreur du FBI et se retrouva impliquée dans l’une des plus sinistres affaires criminelles survenues en Asie. A l’origine de cette sulfureuse épopée se trouve un homme, Hideshi Hino, un mangaka célèbre au Japon pour ses BD horrifiques.
L’histoire d’un remake
En 1985, ce dessinateur ambitionne de réaliser son premier film, dans lequel il veut transposer l’atmosphère morbide de ses mangas et surfer sur le style des snuff movies. Il imagine alors une histoire simple : un homme, vêtu d’un costume de samouraï, kidnappe une femme dans la rue, l’entraîne dans une cave et lui inflige les pires sévices imaginables. Avec l’aide du jeune maquilleur Nobuaki Koga, il élabore des effets spéciaux révolutionnaires pour l’époque, figurant dans un réalisme inouï des scènes de tortures hallucinantes : des pieds déchirés au couteau, des yeux percés au rasoir, une tête découpée par une scie, des seins lacérés et autres joyeusetés.
Tourné dans un style amateur, sans aucun dialogue ni scénario, Guinea Pig: Flowers of Flesh and Blood sort fin 1985 dans le circuit vidéo underground au Japon où il se fait vite une réputation d’objet culte, s’échangeant sous le manteau dans les facs ou dans les arrière-salles des vidéo-stores de Tokyo. En quelques années, son aura subversive se propage partout dans le monde, et notamment aux Etats-Unis, où le film allait se retrouver au cœur d’une étrange investigation policière.
Chris Gore peut en témoigner. Rédacteur en chef du magazine Film Threat, ce quinqua au look de rockeur fut l’un des premiers à importer une VHS de Guinea Pig: Flowers of Flesh and Blood, en Amérique du Nord, et son nom fut très vite associé au scandale. Il nous raconte :
« J’étais fan de films trash, et je cherchais toujours à dénicher les trucs les plus bizarres en circulation. Or il faut se souvenir qu’il n’y avait pas Internet à cette époque, donc pour trouver ce genre de films on devait rentrer en contact avec un video-dealer, un mec qui commercialisait des copies pirates de VHS – ce qui était évidemment illégal. Moi, je connaissais un video-dealer qui voyageait beaucoup en Asie, et qui s’était spécialisé dans les films d’horreur japonais. C’est grâce à lui que j’ai pu obtenir une copie de Guinea Pig. J’ai reçu le film dans ma boîte aux lettres un matin et j’ai halluciné devant la violence du truc. Jamais je n’avais vu un film aussi réaliste, même si je n’ai pas pensé une seconde que ça puisse être un vrai snuff movie. »
Or tout le monde n’a pas eu la lucidité de Chris Gore, qui allait bientôt le découvrir à son insu.
« À cette époque, en 1990, 1991, je traînais pas mal avec l’acteur Charlie Sheen, poursuit le journaliste. Il était aussi complétement obsédé par les films d’horreur, et me demandait de lui filer ce que j’avais de pire, de plus sanglant. Je lui ai donc envoyé mon exemplaire de Guinea Pig. Et là il a vraiment pété un câble. »
Charlie Sheen se rend au FBI
Quand il voit pour la première fois cet obscur film japonais, Charlie Sheen reste hagard, terrorisé par ces images de torture au réalisme saisissant. Persuadé qu’il s’agit d’un vrai snuff movie, d’une vraie scène de crime, l’acteur se rend en urgence au FBI qui décide immédiatement d’ouvrir une enquête après avoir visionné la VHS. Des perquisitions sont organisées chez Chris Gore, la police se lance à la recherche du video-dealer qui lui a fourni la copie du film, tandis qu’au même moment, le réalisateur Hideshi Hino et son spécialiste des effets spéciaux sont convoqués devant une cour japonaise pour prouver qu’aucune femme n’a été tuée pendant le tournage. Que Guinea Pig : Flowers of Flesh and Blood était simplement une fiction.
« Tout ça frisait quand même l’absurde le plus total, analyse Chris Gore. Même si le film était ultra réaliste, et qu’à cette époque on était moins habitué à voir ce genre d’images trash, il fallait être sacrément crédule pour penser que Guinea Pig était un vrai snuff movie. Ma théorie, c’est que Charlie Sheen devait être bien défoncé quand il a vu le film, qu’il s’est mis à flipper, et que son statut de star à convaincu le FBI de lancer des recherches. »
L’enquête fut bouclée en à peine quelques jours, le temps de découvrir la supercherie et d’étouffer l’embarrassant dossier du côté du FBI. Mais l’affaire Guinea Pig connut un autre chapitre polémique. Cette fois-ci beaucoup plus glauque.
Tueur en série
De 1988 à 1989, le Japon traverse l’une des pires crises de son histoire d’après-guerre. Tout le pays tremble à l’évocation d’un seul nom : Tsutomu Miyazaki, un tueur en série, cannibale et nécrophile, qui assassina quatre fillettes dans la préfecture de Saitama, avant d’avoir des rapports sexuels avec leur cadavre, de boire leur sang et de dévorer certains de leurs membres. Surnommé le « tueur Otaku », il fut arrêté le 23 juillet 1989 suite à une nouvelle tentative d’agression. Lors de la perquisition de son domicile, la police japonaise découvrit une impressionnante collection de mangas et surtout de films d’horreur, parmi lesquels figurait… Guinea Pig : Flowers of Flesh and Blood
« Enfin, les médias tenaient le coupable idéal. Dès que le contenu de la perquisition a été rendu public, tout le monde s’est mis à condamner Guinea Pig », nous décrit Jay McRoy, professeur d’histoire à l’université du Wisconsin, Parkside, et auteur d’une anthologie sur le gore japonais.
« Chaque jour, dans la presse et à la télévision, des soi-disant spécialistes venaient expliquer que Guinea Pig était un film dangereux, qu’il avait poussé ce type au crime. En réalité, les médias japonais en ont profité pour alimenter la paranoïa nationale autour de la culture underground et de l’imaginaire horrifique, qu’ils présentaient comme des passions malades ».
Les premières victimes de l’affaire furent alors les réalisateurs et acteurs qui travaillèrent sur le film, tous unanimement condamnés par la presse pour avoir participé à cette entreprise maudite.
Avant de pouvoir tourner le remake américain de Guinea Pig, Stephen Biro a ainsi dû patienter pendant près de dix ans, une longue période de négociations intenses et âpres avec les détenteurs des droits du film original.
« Ils ne voulaient pas céder parce qu’ils avaient peur », avance le cinéaste. « Tous ceux qui avaient été impliqués dans le film japonais, acteurs, réalisateurs, ne voulaient plus en entendre parler. La campagne de dénigrement médiatique au moment de l’affaire du serial killer Tsutomu Miyazaki avait été telle qu’ils préféraient éviter que l’on reparle du film, même si ce n’était qu’un remake. Mais les années ont passé, et ils ont fini par accepter. »
Stephen Biro espère lui en tout cas surfer sur le culte de la marque Guinea Pig, qu’il veut développer en franchise sur le sol américain: il a déjà tourné un second épisode (American Guinea Pig: Bloodshock) et souhaite réaliser un film par an sur le même modèle de vrai-faux snuff movie. « C’est un genre intemporel, qui gardera toujours le même pouvoir de fascination sur les gens, dit-il. Là, récemment, j’ai reçu une dizaine de mails qui provenaient d’Amérique du Sud, où des mecs avaient vu des scènes de mon film et pensaient qu’il s’agissait de vidéos de meurtres liés aux cartels de la drogue ! »
Mais Stephen Biro a un projet encore plus brûlant qui l’attend, et dont il parle avec une excitation à peine dissimulée : dans quelques semaines, il devrait distribuer son remake de Guinea Pig au Japon, où il trépigne déjà à l’idée de réveiller le feu d’une vieille controverse.
Le DVD Guinea Pig : Bouquet Of Guts And Gore sortira en janvier 2016 chez l’éditeur Uncut Movies.
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