L’homme de théâtre italien Pippo Delbono et sa troupe dans un documentaire passionnant.
Présenté lors de la première édition du Festival de Rome en 2006, Grido aura donc mis près de trois ans à trouver un distributeur en France. Et pourtant. Grido (rien à voir avec Il grido d’Antonioni), le deuxième film du grand metteur en scène italien Pippo Delbono, est un documentaire passionnant. Le film a pour intention première l’autobiographie. Delbono s’y raconte : lui, ses peurs, son passé, le théâtre, des rencontres, sa dépressivité chronique, etc. Et disons-le, les premiers plans font d’abord craindre le pire : narcissisme, fausse poésie, délire d’homme de théâtre découvrant soudain l’usage inconsidéré que l’on peut faire d’une caméra digitale quand on la place devant un miroir, petitesse du sujet, son peu d’intérêt si l’on ne connaît pas son auteur et sa carrière… Or, passés ces quelques plans, quelque chose de mystérieux advient. Parce qu’il advient aussi dans la vie de Pippo Delbono l’arrivée d’un être étrange : Bobò, l’un de ses acteurs fétiches, qui a passé une bonne partie de sa vie dans un hôpital psychiatrique et qui en porte les stigmates au quotidien (des difficultés d’expression, notamment). Bobò est arrivé dans la vie de Delbono à un moment où il allait très mal. Et son entrée dans le film a le même effet : ce petit homme qui porte sur son visage toute la douleur et toute l’humanité du monde ramène le rêveur égocentrique qu’est Delbono sur terre, près des réalités matérielles, fait le joint entre la boue et la poésie, l’imaginaire et le réel, leur donne sens à elles deux. Dès lors, c’est Bobò qui devient le sujet principal du film, Delbono s’efface devant lui sans cesser d’enregistrer et de rester cinéaste, et Grido devient passionnant. Mais pas d’ambiguïté : il ne s’agit, ni pour Delbono ni pour nous, de glorifier la folie, de sanctifier ou de mythifier la maladie mentale, d’en faire l’éloge, seulement de constater que l’alliance entre deux hommes aussi différents que le sont en apparence Delbono et Bobò enfante de l’art, donne à une vérité qui dépasse les fioritures ou les artifices des mots, des images et des sons. Sans complaisance, sans sentimentalisme, sans voyeurisme, Grido nous guide au cœur d’une relation et d’une entraide unique et extrêmement singulière entre deux hommes, ce qui les unit, ce qui a permis, ensemble, d’échapper à un destin funeste. Belle illustration du vieil adage godardien : “Pour faire un film, il faut être deux”.
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