Tandis que La Cinemathèque Française consacre une rétro au genre du mélodrame dans le cinéma français, légère sélection de nos 11 films préférés pour pleurer des rivières.
On trouve encore dans nos contrées – heureusement de moins en moins – des cœurs secs et des esprits qui se veulent forts qui traitent le mélodrame par le dédain, et le considèrent comme un sous-genre sans intérêt. Ils lui reprochent ses facilités, son sentimentalisme. Peut-être aussi, par un réflexe de mépris social, son essence populaire. « Ah que j’aime le mélodrame où Margot a pleuré » : cette phrase célèbre de Musset réunit peut-être les deux faces de la manière dont les plus grands auteurs ont parlé du mélo.
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Or il s’avère que le cinéma, art qui n’est bon que lorsqu’il est populaire, dans la lignée du théâtre et de l’opéra, lui a donné ou accordé des lettres de noblesse, et ce dès sa naissance en 1895 – sans doute aussi, ne le nions pas, pour des raisons mercantiles. Quiconque n’a pas pleuré aux Deux Orphelines de Griffith (1016) ne peut vraiment aimer le cinéma (oui, le mélo pousse ses admirateurs à l’excès). Le mélodrame est un cinéma qui a pour but de faire pleurer les foules. Mais pas forcément par des moyens ineptes ou putassiers (les fameux « violons » qu’on reproche souvent aux films que l’on juge exagérément tire-larmes). Le mélodrame hollywoodien fut grand, quand il fut réalisé par Douglas Sirk, Vincente Minnelli, Leo McCarey, Elia Kazan ou aujourd’hui James L. Brooks, Todd Haynes et Jeff Nichols, etc. Quand des stars (comme Meryl Streep) y reviennent régulièrement, et y triomphent souvent grâce à leur génie à la fois insupportable et irrésistible.
Le cinéma français, comme le rappelle Jean-François Rauger, le grand maître de la programmation de la cinémathèque française, ayant toujours été un peu rétif aux genres, n’a pas toujours sa dette à l’égard du mélodrame. Pourtant, la sélection de films qui sera projetée pendant six semaines dans cette vénérable institution le démontrera brillamment : les plus grands cinéastes français ont réalisé leurs plus grands films quand ils se sont adonnés au mélodrame.
Angèle de Marcel Pagnol / France / 1934
https://www.youtube.com/watch?v=iLwr4_bySVY
Comme souvent chez Pagnol, tiré d’un roman de Giono, Angèle raconte l’histoire de la déchéance d’une jeune fille de la campagne (l’intense Orane Demazis) séduite et mise sur le trottoir de la ville par un méchant proxénète. Elle revient un jour avec un enfant, mais son père (Henri Poupon, le double de Raimu) la renie et l’enferme de la cave pour cacher son déshonneur. Heureusement, le valet de ferme Saturnin (le plus beau rôle de Fernandel) va tenter de changer le cours des choses. Peut-être le plus beau film de Pagnol, souvent cité dans les palmarès. Le plus brut. On y retrouve l’un des motifs les plus rebattus du mélodrame : la fille perdue. L’humanité finale de ceux qui l’ont rejetée.
Gueule d’amour de Jean Grémillon / France, Allemagne / 1937
Bourrache (Jean Gabin, l’un de ses plus grands rôles) est spahi à Orange. On le surnomme « Gueule d’amour » car c’est un tombeur. Mais un jour, à Cannes, il rencontre une femme du monde (Mireille Balin) et l’amour naît entre eux. Mais ils ne sont pas du même monde. L’amour impossible, les différences sociales incompatibles : cette fois-ci, c’est l’homme qui en fait les frais (comme dans La Règle du jeu de Renoir, mais c’est une « comédie »…). Comme chez Truffaut bien plus tard, l’homme est plus fragile que la femme. Un Grémillon magistral (le plus grand ?).
Madame de…de Max Ophuls / France, Italie / 1953
L’un des chefs d’œuvre de Max Ophuls fonctionne, comme souvent chez ce cinéaste, sur la circulation d’un objet ou d’une maladie (d’amour ?), ici un collier de perles, qui a force d’être revendu et de passer de mains en mains peu courtoises, va très vite revenir à sa propriétaire initiale, Louise (Danielle Darrieux), au grand dam de son mari, un officier haut-gradé (Charles Boyer). Mais le collier est désormais devenu le symbole de l’amour que Louise porte à son bel amant italien (Vittorio de Sica). Tout va aller de mal en pis. L’amour impossible, autre figure traditionnelle du mélodrame, mène au drame.
Vivre sa Vie de Jean-Luc Godard / France / 1962
La prostituée au grand cœur, tendre et triste, grand thème du mélodrame. Ici, en douze tableaux modernes, c’est Anna Karina, dans les années 60 (la prostitution, au sens propre comme au figuré, est l’un thème récurrent du cinéma de Godard), ou plutôt Nana (comme chez Zola), qui voudrait bien devenir actrice comme Falconetti (la Jeanne d’Arc de Dreyer) mais qui doit vendre son corps pour vivre. Un admirable Godard.
Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy / France-RFA / 1963
https://www.youtube.com/watch?v=kLXNBu6_JNA
C’est la guerre d’Algérie qui va soudain séparer Guy le garagiste de Geneviève, la fille de la marchande de parapluies, qui s’aiment d’un amour fou, celui du premier amour. Appelé sous les drapeaux, Guy quitte Cherbourg. Mais Geneviève est enceinte. Sa mère la force alors à épouser un riche diamantaire qu’elle n’aime pas (le charmant Roland Cassard….). Quand il revient de la guerre, Guy est désespéré. Le temps passe. Un soir d’hiver, Geneviève, devenue une dame, s’arrête à Cherbourg pour faire le plein d’essence. Guy sort de la station. Ils sont chacun mariés, ont un enfant, qui portent leurs prénoms respectifs.
La fille-mère obligée de se marier pour sauver l’honneur de sa famille (comme dans Fanny de Pagnol), les différences de classe, l’amour condamné par la société : c’est bien un mélo (et celui ne pleure pas à la fin est un infâme). C’est d’ailleurs un opéra, ne comprenant que très peu de dialogue parlés (contrairement aux Demoiselles de Rochefort, qui est une comédie musicale).
Corps à cœur de Paul Vecchiali / France / 1978
Comme chez Grémillon (que Vecchiali admire beaucoup), Corps à cœur raconte l’histoire déchirante d’un amour passionnel entre une bourgeoise (une pharmacienne) et un garagiste bien macho. Mais Vecchiali ajoute la différence d’âge au propos : Jeanne (la géniale et désuète Hélène Surgère) a plus de cinquante ans, Pierrot (Nicolas Silberg) trente. Hommage assumé au cinéma des années trente (Carné, Clair), Corps à cœur est pourtant un film bien ancré dans les années 70, leurs valeurs morales, et l’un des plus beaux films de Vecchiali. On y pleure de rire, on y rit de douleur. « L’impression qui se dégage du film, je crois, c’est le bonheur dans la douleur, les larmes qui font du bien » dit un jour Vecchiali.
La Femme d’à côté de François Truffaut / France / 1981
https://www.youtube.com/watch?v=Zp8WsvtSykE
Mathilde (Fanny Ardant) et son mari emménagent dans un petit hameau. Ils font connaissance de leurs voisins, Bernard (Gérard Depardieu) et sa petite famille. Or, dans leur jeunesse, Bernard et Mathilde ont vécu une passion destructrice. Ils redeviennent amants. « Ni avec toi, ni sans toi », dit Mathilde avant de faire dernière fois l’amour avec Bernard, de le tuer et de se suicider. L’un des films les plus incandescents et désespérés de Truffaut sur la douleur de la passion, son incompatibilité avec la vie quotidienne.
Hôtel des Amériques d’André Téchiné / France / 1981
A Biarritz, Hélène (Catherine Deneuve), anesthésiste, rencontre Gilles (Patrick Dewaere) le soir où elle le renverse en voiture. Ils tombent amoureux. Mais il y a un obstacle entre eux : l’homme qu’elle aimait, qui s’est noyé un an plus tôt. Mais comme se débarrasser d’un fantôme d’amour entêtant ? Sans comparaison, le plus beau rôle de Dewaere, cet Hôtel des Amériques si torturé est une œuvre singulière dans le cinéma français d’auteur du début des années 80, baignée de ce léger climat fantastique qui fait aussi le prix de Rebecca (le roman) de Daphné du Maurier. Grand film.
Mélo d’Alain Resnais / France / 1986
Tiré d’une pièce de Henri Bernstein créée en 1929, l’histoire d’amour (à trois ?) impossible entre un grand violoniste soliste (André Dussolier) et la femme (Sabine Azéma) d’un de ses amis de conservatoire devenu musicien d’orchestre (Pierre Arditi). Le mari comprend son épouse tout en souffrant. Quand l’épouse tente de réparer le mal, le drame surgit.
Noce Blanche de Jean-Claude Brisseau / France / 1989
L’amour impossible entre un professeur et son élève. Les deux plus beaux rôles au cinéma de leurs deux interprètes, Bruno Cremer et Vanessa Paradis. Le film n’a pas pris une ride. Mieux encore : il a gagné en intemporalité, perdant presque le fumet de scandale que le sujet contenait au départ. L’un des plus beaux films d’amour (absolument malheureux) de toute l’histoire du cinéma français.
Les chansons d’amour de Christophe Honoré / France / 2007
Dans cette comédie mise en musique par Alex Beaupain, le malheur s’abat sur Julie et Ismaël, sans prévenir. Elle meurt soudain (on retrouve ce point de départ dans le récent Ce goût de l’été de Mikhaël Heers). Le film raconte comment, sans jamais faire son deuil, Ismaël va tenter de retrouver goût à la vie, en aimant qui il veut, comme il veut, en toute liberté sexuelle. C’est peut-être soudain le rêve caché et impossible socialement, psychologiquement) de Mélo de Bernstein qui trouve son épanouissement dans le gris de Paris.
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