Combat de punks et de skins dans une salle de concerts de l’Oregon. Le deuxième film fracassant d’un jeune cinéaste US très doué.
Après la ruine bleue, la chambre verte. Comme celle de François Truffaut, elle héberge quelques cadavres, mais la comparaison s’arrête là. Green Room est en fait le surnom donné en anglais aux loges de musiciens ou d’acteurs de théâtre, car il était jadis coutumier, paraît-il, de les tapisser de vert. Celle de Jeremy Saulnier, peu importe sa couleur d’origine, finira immanquablement par virer au rouge – rouge sang. Le réalisateur surdoué de Blue Ruin (2013), revient avec ce long métrage d’une impressionnante maîtrise, confirmant tous les espoirs qu’on avait pu placer en lui.
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Cela commence à nouveau dans une voiture, un van plutôt, dans lequel un petit groupe de punk hardcore sillonne les routes et les bars miteux de l’Oregon, berceau de l’hyper hipster Portland tout autant que de milices d’extrême droite capables d’occuper, des jours durant, un bâtiment fédéral pour protester contre le gouvernement, comme en janvier dernier.
Des bars néonazis
Au terme d’une piteuse tournée, contraints de siphonner de l’essence pour avancer, les Ain’t Rights (“ç’pas juste”, pourrait-on traduire) espèrent glaner une bonne fois pour toutes la somme qui leur permettra de remplir le réservoir et de rentrer à la maison, sur la Côte Est. Ils acceptent ainsi un dernier gig dans un bar paumé tenu, pas de pot, par des néonazis. Après avoir lâché sur scène quelques téméraires “Nazi punks fuck off” (fameux hymne des Dead Kennedys), le groupe, un peu sur les nerfs, s’en retourne dans sa loge pour se délasser. Mais, décidément pas de pot, ils sont témoins d’un meurtre. A partir de là, on s’en doute, la situation va assez peu de temps demeurer pacifique.
Comme dans Blue Ruin, il s’agit à nouveau de raconter la violence endémique qui déchire l’Amérique. Enfin, une certaine Amérique, celle des marges, sociales et territoriales, cette Amérique blanche, larguée et surarmée, dont on aurait voulu oublier l’existence avant que Donald Trump ne la rappelle à nos bons souvenirs. Green Room, pour autant, n’est pas à proprement parler un film politique. Ou s’il l’est, c’est par pur effet de monstration plutôt que par démonstration : un nazi est un nazi (c’est-à-dire quelqu’un de pas très sympa et néanmoins capable de se montrer urbain si nécessaire), un crime est un crime, un croc est un croc – et tout cela fait très mal.
Green Room
Enfermés dans la green room, les quatre Ain’t Rights (menés par les excellents Anton Yelchin et Alia Shawkat), bientôt rejoints par Imogen Poots (repérée dans Broadway Therapy), seront en effet confrontés à la violence méthodique déployée par Patrick Stewart (génial de suavité maléfique) et son gang de crânes rasés (dont Macon Blair, l’antihéros hébété de Blue Ruin).
Action/réaction est au fond la seule politique pratiquée par Saulnier, qui démontre là d’impressionnantes capacités de metteur en scène. Au sens strict : la scène (ou en l’occurrence, l’arrière-scène) est un espace à occuper et à tenir, par la parole et par le geste, par la ruse et par la brutalité, la caméra définissant avec une rare méticulosité (digne, allez, de John Carpenter) la place de chacun – autrement dit son rôle, dans cette petite murder party pleine de ketchup.
Tous les personnages ou presque sont intelligents (ce qui met d’emblée Green Room au-dessus de 90 % des survivals), mais, malgré cela, ils commettent des erreurs. Qui se révèlent souvent fatales. C’est que tuer n’est pas un jeu de rôle. Eux, comme nous, ont vu mille films où l’on dézingue à tout-va et démembre à tout rompre. Ils l’ont peut-être déjà fantasmée, cette situation de siège, déjà reçue, leur décharge d’adrénaline virtuelle ; ils pensent savoir. Hélas pour eux, la violence véritable est à mille lieues de sa représentation commune. Et c’est le génie propre de Saulnier, déjà flagrant dans Blue Ruin, que d’être capable de montrer cela, que de savoir réduire l’écart entre le ketchup et l’hémoglobine. Hélas pour eux, tant mieux pour nous.
Green Room de Jeremy Saulnier, (E.-U., 2015, 1 h 34)
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