Un enfant a pour héros deux légionnaires, dont son père. Un récit entre mythe et réel pétri d’une évidente humanité. Sarah Leonor réussit un film sur la guerre sans pathos.
Ce qui charme d’emblée, dans le quatrième film de Sarah Leonor (son précédent, Au voleur, était aussi le dernier de Guillaume Depardieu), c’est la façon dont elle met du mythe dans le réalisme de son récit, d’une manière tout à fait naturelle.
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Le Grand Homme est une histoire d’hommes racontée par un jeune garçon. Il est tchétchène, se prénomme Khadji, est orphelin de mère (tuée par un éclat d’obus russe) et grandit en France avec des femmes de sa famille dans un de ces Algeco où l’on parque les réfugiés politiques. Son père, Murad (Surho Sugaipov, absolument époustouflant de présence dans son premier rôle au cinéma), est entré dans la Légion étrangère afin de gagner sa vie et surtout d’obtenir, à la fin de son contrat, la nationalité française. Comme il est d’usage à la Légion, il a pris un pseudonyme : Markov. Il a un meilleur ami, Michaël Hernandez, qui se fait appeler Hamilton (Jérémie Renier, comme toujours génial). Markov et Hamilton sont inséparables.
Missionnés en Afghanistan, ils ne craignent ni la faim ni la soif. Mais ils vont, pour la gloriole, commettre une erreur qui sera fatale à leur carrière militaire. Pour Khadji, Markov et Hamilton sont des héros, quasi invincibles. Le Grand Homme va nous raconter pourquoi, lui l’enfant solitaire et abandonné par son père, en est arrivé à les considérer ainsi. Et nous le comprendrons, et nous partagerons son opinion, son émotion.
Le film nous raconte aussi pourquoi et comment, d’une histoire profondément ancrée dans les réalités du monde d’aujourd’hui – même si elles sont rarement montrées au cinéma : la guerre en Afghanistan, la vie militaire, l’obtention d’une nationalité, d’un travail, l’intégration à la société, etc. –, Sarah Leonor va tirer, mine de rien, sans effets de manche, avec des idées de mise en scène lumineuses (comme par exemple cette tente de camping qui va devenir la chambre, le cocon protecteur de Khadji dans l’appartement délabré que loue son père), un mélodrame déchirant et pourtant exempt de tout excès pathétique, l’histoire d’un garçon qui va devenir un homme au contact de “Markov et Hamilton”, ces deux princes du désert qui n’en font qu’un, qui semblent tout savoir sur tout et vont, sans grands discours (ce sont des taiseux), lui enseigner les gestes les plus banals et à la fois les plus essentiels de la vie.
Le film pourtant – on pourrait le croire à la description que nous en faisons ici et ce serait une erreur – ne valorise pas les valeurs viriles ou militaires. Rien de tout cela. Il montre bien au contraire l’amitié, la tendresse, la patience et la générosité des êtres humains à transmettre des gestes, des attitudes, des pratiques à ceux qui viennent après eux et qui leur survivront sans doute, si tout va bien. Et qui eux-mêmes auront à les transmettre à d’autres. Des choses très simples, en somme. Sans chichis. Des histoires ancestrales de paternité, de passation de pouvoir, de figures paternelles, qui irriguent et font naître la fiction depuis toujours.
Dans le sillage des plus grands cinéastes (Hawks, Renoir… toutes proportions gardées, mais le paradigme est identique), le cinéma de Sarah Leonor croit aussi à l’intelligence des êtres, et à la capacité du cinéma à la montrer, elle et l’humanité : ce que c’est qu’être un homme, ce mélange de sauvagerie et de maîtrise de ses pulsions traversé par des rêves. C’est en cela que Le Grand Homme échappe radicalement à ce qu’il y a de plus petit et ras des pâquerettes dans beaucoup de films volontiers comportementalistes, descriptifs, mais sans inconscient, sans imaginaire de fond.
Leonor, qui progresse de film en film, sait le pouvoir du romanesque, qui donne à la réalité un relief inestimable et qui fait que, parfois, le cinéma peut être un art.
Le Grand Homme de Sarah Leonor, avec Jérémie Renier, Surho Sugaipov, Ramzan Idiev
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