Un troublant coup d’essai qui explore avec inspiration notre vision des abattoirs.
Gorge cœur ventre a réussi à synchroniser sa sortie, à quelques jours près, avec une nouvelle livraison de vidéos clandestines d’abattoirs – venues cette fois d’un établissement de Limoges où l’on découvre une horreur inédite, l’éventrement de vaches gestantes. Images désormais d’une telle fréquence dans l’actualité que l’on pouvait, sans trop de risques, miser sur une telle synchro. Mais au-delà du bon timing, quel est exactement le lien qui unit le film de Maud Alpi à ces images ?
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Dans le film, on suit un jeune homme, dégaine de vagabond, fidèlement accompagné d’un chien. Embauché dans un abattoir, il partage sa vie entre une bâtisse abandonnée qu’il squatte, et ce lieu de mort qu’il apprivoise : acclimatation aux bêtes, à l’omniprésence de la mort, au climat fétide. Malgré ses atours documentaires, c’est une fiction – du moins autant que peut l’être un film dont le casting est majoritairement animal, et donc en permanence soumis à un régime aléatoire – et, finalement, un travail assez émancipé des questions d’actualité dont il est pourtant la répercussion.
Gorge cœur ventre, c’est précisément un film permis par la nouvelle familiarité acquise par l’abattoir dans notre imaginaire horrifique. Il ne documente rien (ni chiffres ni explications) mais met son objet à l’épreuve plastiquement, émotionnellement : le lieu n’y est pas tant une réalité que la projection cauchemardée d’une réalité. Un lieu dépeuplé, aux couleurs étranges, noir et jaune comme l’intérieur d’autre chose qu’un bâtiment : celui d’un corps, un intérieur organique et malade, bilieux. Chaud, presque comme un cocon, mais surtout comme un four poisseux, une vieille machine bruyante et fatiguée.
Métaphysique de l’abattoir
Ce qui marque surtout, c’est le caractère apocalyptique, désertifié du film : comme si l’abattoir tuait à vide, tournait pour rien. A quelques rencontres près (dispensables : certaines littéralisent trop le propos), on ne verra presque aucun autre employé. Les bêtes, aussi, sont étrangement peu nombreuses, et le monde en aval si totalement ignoré qu’on doute de son existence.
Dans cette rase campagne, sale et livide, où la mort perpétue machinalement ses basses œuvres, et où la grâce perce à peine dans quelques regards d’animaux (à la caméra, mais surtout entre eux), la métaphysique de l’abattoir imaginée par Maud Alpi est avant tout celle d’un monde posthumain. Tabula rasa peuplée de chiens errants, telle que le dessine le beau finale en forme de clin d’œil tarkovskien. Impeccable conclusion à un film, certes de son temps, mais qui appartient pourtant tout entier à un autre monde.
Gorge cœur ventre de Maud Alpi (Fr., 2016, 1 h 29)
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