« La musique est devenue un univers trop restreint pour moi », déclare le boulimique Gonzales. Le voilà donc auteur, acteur et producteur de son premier film en forme d’autoportrait, dont il signe aussi la BO.
C’est ce parcours initiatique et tortueux qu’ Ivory Tower raconte avec humour, précision et légèreté. Le film, dont chaque scène semble pesée et soupesée, pensée et découpée avec minutie (même les moments de folie), évoque les meilleures heures de Wes Anderson. On y suffoque ou explose, bien fagoté dans des vestes en velours côtelé, sous la jolie lumière pâle de l’automne canadien. Avec en fond sonore une bande originale elle aussi d’une rare élégance, coécrite avec le wunderkid de l’electro allemande, Boys Noize. Disque total et décomplexé, l’album Ivory Tower peut se concevoir comme une oeuvre isolée du film. On y retrouve un Gonzo electro (sur Knight Moves et I Am Europe), éploré (Bittersuite) et héroïque (Smothered Mate, mélange de Kraftwerk et du générique de Magnum).
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On y entend peut-être aussi l’un de ses meilleurs textes (The Grudge, à décortiquer écoute après écoute), on pense au Prince de la fin des années 80 sur You Can Dance, et l’on part en beauté sur un Final Fantasy d’une pureté époustouflante, à écouter les yeux rivés sur une photo d’enfance. Aux envolées fourmillantes de Gonzales, Boys Noize est venu apporter sa production rigoureuse, son sens du groove tenu. Le résultat est tout simplement épatant, et cette musique de tous les possibles peut rapidement se révéler addictive, suscitant à chaque écoute de nouvelles scènes mentales dont Gonzo est bien évidemment le héros.
Ivory Tower – disque comme film – apporte ainsi une ouverture précieuse sur la personnalité complexe de Gonzales. Un virtuose du piano qui le sait, d’abord. « J’ai vite compris que pour moi le piano était une arme. C’est grâce à lui qui je suis arrivé à séduire des filles. » Mais aussi un type qui voue en secret un culte à Andy Kaufman (le fantastique trublion américain interprété par Jim Carrey dans Man on the Moon de Milos Forman), ou encore à Victor Borge, ce cascadeur danois du piano qui tombait sans cesse de son petit banc. Ivory Tower est ainsi un terrain de jeu inventé par Gonzales pour Gonzales : on y découvre un showman incroyable mais aussi un type à la sensibilité enfouie sous le poil, qui rappelle sans hésiter les héros modernes des nouvelles comédies américaines : Seth Rogen, Zach Galifianakis, Jonah Hill. « J’avais ces envies en moi. Je cherchais à les exprimer depuis longtemps, parfois avec une certaine maladresse. On ne m’a pas toujours compris. Je pense que le film est une bonne façon de s’expliquer. »
Gonzales planche aujourd’hui sur un projet d’album qui pourrait le ramener du côté du hip-hop. Récemment, il a essayé sans succès de caser des productions à Drake, le nouveau chouchou du rap. « Il se trouve que mes parents habitent dans le même immeuble que des membres de sa famille. Nous avons sympathisé, mais ensuite je me suis heurté aux avocats, aux maisons de disques. Tout cela est compliqué mais je vais y arriver. »
Il a récemment passé du temps en studio avec Abd Al Malik. « Le résultat va être surprenant », assure-t-il. L’animal, qu’on a entendu remixer Daft Punk comme produire Arielle Dombasle, composer pour Katerine et Teki Latex, écrire pour Feist comme travailler pour Jane Birkin ou Charles Aznavour, ne cache pas sa boulimie de désirs. « J’aime aller dans tous les sens, c’est comme ça, il faut accepter de me laisser me balader », se marre-t-il alors qu’on approche d’un magasin de lunettes.
Il en essaie plusieurs paires, demande conseil, poursuit ses explications. « Quand je regarde mon parcours, j’ai le sentiment que tout ça a un sens. Toronto, Berlin, Paris, Londres. Et tous ces artistes avec lesquels j’ai travaillé aussi, parfois très différents.
Ce n’était pas écrit à l’avance, mais mon parcours a peu à peu trouvé sa cohérence. Chaque jour, j’ai fait des efforts pour que s’écrive une histoire. Ivory Tower en est la preuve, je ne renie rien, j’assume tout. »
Gonzo poursuit ces efforts jusqu’à l’extrême, alors que nous cherchons désespérément un magasin de disques dans les rues de Camden. « On s’étonne que plus personne n’achète de disques, encore faudrait-il qu’il y ait des endroits où on puisse les acheter », plaisante-t-il avant de nous saluer et de jurer qu’on le reverra très vite du côté de Paris.
Album Ivory Tower (Gentle Threat)
Film : Projection les 12, 13, 19 et 20 septembre au Ciné 13, Paris XVIII e Concert Le 27 novembre à Paris (Trianon)
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