A l’occasion de la sortie de l’épatant « Be Kind Rewind », Michel Gondry évoque avec nous ses acteurs dans un entretien où il décrypte Jack Black aussi bien que Charlotte Gainsbourg, Jim Carrey, Mos Def, Mia Farrow…
Qu’est-ce qui a orienté ton désir vers Jack Black ?
Michel Gondry – Il m’avait beaucoup plu dans High Fidelity de Frears et L’Amour extra-large des Farrelly, que j’aime beaucoup. Je trouvais à Jack une très belle énergie, sans qu’il ait le physique de la star. Je lui avais proposé d’être dans La Science des rêves, mais ça ne s’est pas fait. On a en commun d’avoir un trajet hybride, entre cinéma et musique. J’aime bien ces gens qui ne sont pas des spécialistes et qui viennent d’un autre monde. Il ne sort pas de cette école d’acteurs qui les rend insupportables pour les réalisateurs, l’Actors Studio. Lui vient, comme moi, d’une télévision un peu alternative, notamment Mr. Show (1995), une série que j’adore, où il figurait avec David Cross et Bob Odenkirk.
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Quelle comparaison dresses-tu entre les deux stars comiques, Jack Black et Jim Carrey, que tu as dirigées ?
Jim Carrey est beaucoup plus sombre, plus torturé. Il a eu des succès énormes mais il trimbale une sorte d’insécurité, parce que dès qu’il s’essaie à des rôles dramatiques, il n’est pas respecté. Sa frustration à ne pas savoir s’il en veut trop ou pas assez peut rendre le tournage un peu difficile, mais j’en garde un bon souvenir. Jack Black est plus insouciant par rapport à ça. Il doit avoir ses angoisses, comme tous les acteurs comiques, mais il a un côté gros bébé.
A voir Soyez sympas, rembobinez, on comprend très fortement en quoi Bloc Party (documentaire musical réalisé en 2005 à Brooklyn) était un film personnel, notamment sur le rapport à une idée de communauté et ton intérêt pour la musique noire. Qu’est-ce que Mos Def, que l’on retrouve dans ton dernier film, incarne de cela pour toi ?
Quand je tournais Bloc Party, la plupart des musiciens étaient assez déconneurs, mais toujours un peu empruntés, préoccupés par leur image cool. Le seul qui ressortait vraiment aux côtés de Dave Chappelle, c’était Mos Def. C’est aussi quelqu’un qui a un engagement social et qui défend l’idée d’inventer un modèle créatif à l’intérieur de sa communauté plutôt que d’aller voter. Cela a influencé Soyez sympas, rembobinez, au même titre que ce que j’ai pu retenir du tournage de Bloc Party, en prenant part – moi, réalisateur blanc issu d’une banlieue parisienne sans histoire – à la communauté des musiciens noirs américains que je filmais. J’ai ainsi fini par comprendre pourquoi il était normal que Mos Def arrive presque systématiquement en retard de trois heures. Quand lui et Dave Chappelle organisaient un dîner, pendant des heures il ne se passait rien. Moi je ne comprenais pas pourquoi on n’allait pas se coucher mais on me disait “When the vibe is going, you don’t stop it”. Et puis au bout de trois heures, une idée géniale germait et ils déliraient dessus. J’ai mis du temps à saisir que c’est comme cela que ça se passe, mais cela m’a permis de comprendre pourquoi je n’ai jamais réussi à faire des clips de rap alors que j’en ai envie depuis des années. Il faut passer son temps à côté d’eux pour être là quand ça se déclenche. Il y a aussi une autre chose qui m’est chère, dont je parle dans Soyez sympas, rembobinez, c’est le fait que toutes les avancées de la musique pop sont parties de musiques folkloriques noires produites par des communautés marginalisées et donc acculées à produire leur propre divertissement. Il y a là-dedans une indépendance et une forme de résistance auxquelles je voulais rendre hommage.
Engager Mia Farrow, était-ce un moyen de relier ton film aux contes teintés de fantastique du Woody Allen des années 80 ?
Je n’y avais pas pensé mais j’adore ces films, surtout Zelig. J’ai pris Mia parce que c’est une actrice géniale mais ce qui m’intéresse surtout chez elle, c’est son activisme, ses prises de risques, son travail qui a permis la reconnaissance de la crise du Darfour aux Etats-Unis. Cela comptait plus pour moi que ses films avec Woody Allen, dont il est de toute façon difficile de parler avec elle tant elle l’a en horreur. On a surtout échangé autour de ses histoires show-biz, parce que pendant qu’elle s’occupe d’humanitaire, elle a un passé hallucinant. Elle était en Inde avec les Beatles en 1969, la chanson Dear Prudence fut écrite pour sa sœur, elle a largué Sinatra pour aller tourner Rosemary’s Baby, qui a fait d’elle une icône…
Comment expliques-tu que, faisant un film assez personnel en France, La Science des rêves, tu aies eu recours à un acteur étranger, Gael García Bernal, pour t’identifier au personnage principal ?
La Science des rêves parlait en quelque sorte de mon actualité sentimentale, c’était très difficile à écrire, presque un peu humiliant, et je n’arrivais pas à m’identifier à un acteur français. Finalement, j’ai décidé de prendre de la distance par rapport au français. Je me suis finalement retrouvé dans ce personnage qui vient de l’extérieur, ne maîtrise pas tout à fait une langue… Le reste du casting peut paraître étonnant, mais on oublie que j’ai grandi en France. Les comédies des années 70 m’ont marqué, Les Valseuses, De Funès… D’où Alain Chabat pour incarner la dimension un peu “blagues salaces de bureau” du film. Et Charlotte Gainsbourg dont j’admire l’indépendance alors qu’elle est internationale et couvre un champ énorme dans l’histoire récente du cinéma français. Dans le film, elle est un peu ma Miou-Miou.
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