La décennie cruciale de Chantal Akerman en DVD.
Rien de moins arbitraire que de regrouper en un coffret “Les années 70” de Chantal Akerman. Plus encore qu’une période, aussi décisive soit-elle, dans la filmographie d’un cinéaste, c’est toute une carrière qui est présentée ici au point qu’on peut dire qu’avec Toute une nuit, en 1982, soit quatre ans après Les Rendez-vous d’Anna, commence une seconde vie pour Akerman. C’est que l’évolution fulgurante de la cinéaste, durant ces années, est inséparable d’un moment de la conscience humaine, moment à la fois politique et artistique, qu’on appellera “féminisme” par facilité mais qui est aussi bien marqué par le croisement historique entre la tradition auteuriste européenne et le cinéma expérimental américain. Ainsi, on ne saurait trop conseiller de défaire l’ordre proposé de lecture des DVD pour suivre chronologiquement cet avènement exceptionnel. En commençant, par exemple, par le premier court métrage d’Akerman, proposé en bonus du DVD 4. Dans Saute ma ville (1968), une jeune fille, interprétée par la réalisatrice, rentre chez elle, accomplit tous les gestes de la ménagère ordinaire, avant de se suicider au gaz en faisant sauter son appartement. Cette explosion inaugurale ouvre la grande lignée des déflagrations personnelles, amoureuses et meurtrières qui vont ponctuer le cinéma d’Akerman durant les années 70 : du choc inconnu qui conduit au départ de la narratrice de Je, tu, il, elle (avec son fameux incipit : “et je suis parti”) au crime final de Jeanne Dielman qui constitue indubitablement la catastrophe ultime dont le souffle traverse tout le reste de l’œuvre. Mais ces éclatements divers n’auraient pas réussi à conserver un tel pouvoir émotionnel si la cinéaste n’avait su les inscrire en contrepoint d’une structure “froide” dont la généalogie est célèbre. En 1972, à New York, Akerman découvre en compagnie de Babette Mangolte, sa future chef opératrice, La Région centrale, de Michael Snow (une caméra automatisée balaie, pendant trois heures, un espace désertique). Impressionnées par la puissance de cette mise en scène mécanique, les deux jeunes femmes décident de l’adapter en entreprenant la description systématique, étage par étage, d’un hôtel miteux où résidait alors la réalisatrice (Hotel Monterey, 1972). Comme il leur reste encore un dernier rouleau de pellicule, elles conviennent alors de filmer une chambre en un lent panoramique circulaire. Seul incident venant perturber le déroulé placide du plan, la présence dans le lit de Chantal Akerman apparaissant, à chaque nouveau passage de la caméra, dans une pose différente (La Chambre, 1972, également présentée en bonus du DVD 4). Plus encore que le long métrage Hotel Monterey, c’est sans doute les onze minutes de cette Chambre qui donnent la première formule synthétique du cinéma d’Akerman, sa façon unique de combiner un art radical du dispositif et la charge existentielle de la figure humaine. Trois ans plus tard, le doublé magnifique de Je, tu, il, elle et de Jeanne Dielman viendra donner sa pleine ampleur fictionnelle à cette alliance improbable. Dans l’extrait du Cinéma, de notre temps qu’Akerman a réalisé autour de son propre travail (présenté en bonus du DVD 2), la réalisatrice découpe son parcours en deux temps : les années “sans vergogne” qui la voient se lancer dans le cinéma, et les années de l’après-Jeanne Dielman. Dans le coffret, cet après s’incarne en deux films : News from Home (1976) et Les Rendez- Vous d’Anna (1978). Le premier est composé d’une série de longs plans-séquences de New York accompagnée, en bande-son, de la lecture des lettres de la mère. Le second retrace le parcours d’une cinéaste, interprétée par Aurore Clément, allant de festival en festival, pour présenter son œuvre. L’un et l’autre viennent ainsi conclure ces golden seventies, en ouvrant chacun, sur l’avenir de la cinéaste, une piste décisive (la part généalogique, une nouvelle actrice).
BONUS : trois entretiens inédits, réalisés par Akerman, avec Babette Mangolte, sa mère, et Aurore Clément.
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