Une jeune femme retrouve sa féminité en pratiquant la boxe. Sur ce paradoxe fécond, Karyn Kusama impose son sens de l’esquive et du placement. Pour désigner ce qu’on appelle par chez nous le treillis militaire, la langue anglaise emploie ce terme équivoque de battle-dress, que je me suis toujours un peu abusivement entêté à traduire […]
Une jeune femme retrouve sa féminité en pratiquant la boxe. Sur ce paradoxe fécond, Karyn Kusama impose son sens de l’esquive et du placement.
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Pour désigner ce qu’on appelle par chez nous le treillis militaire, la langue anglaise emploie ce terme équivoque de battle-dress, que je me suis toujours un peu abusivement entêté à traduire par « robe de combat », soit la réjouissante perturbation sémantique par un attribut éminemment féminin d’un univers dévolu à la testostérone l’armée et la guerre. Quand Diana Guzman nous apparaît, totalement déplacée dans ce vestiaire où les filles de son âge s’adonnent au raccord maquillage, elle arbore évidemment une « robe de combat ». En un plan, la dichotomie est claire, la trajectoire se dessine : c’est par les poings, en empruntant la voie la moins évidente, que ce personnage va accéder à sa féminité enfouie. Girlfight, autre terme composite où la lutte s’organise également d’un point de vue linguistique entre les deux éléments qui le constituent, ne se départira jamais de cette ambivalence. L’enjeu que s’est fixé le film est tout simplement de rendre son titre harmonieux, le girl allant se nourrir du fight et inversement, jusqu’à ce que leur association mette à mal la physionomie contre-nature qu’elle recèle. Pour cela, il emprunte un ressort narratif classique, maintes fois travaillé par le viril cinéma américain : l’éducation sportive et spirituelle d’une jeune pousse auprès d’un entraîneur qui se substitue au père, son ascension semée d’embûches, avec la succession de matches/paliers, jusqu’à l’accession à la réussite et à la reconnaissance ethno-sociale (Diana appartient à la minorité dominicaine). S’il en reprend peu ou prou les composantes, Girlfight vaut beaucoup mieux qu’un Karaté kid de genre XY. L’idylle amoureuse, figure imposée de ce type d’histoires, ne saurait être ici un vulgaire greffon, une excroissance scénaristique. C’est en s’adonnant à la répétition des coups, crochets et directs, que Diana peut s’ouvrir aux caresses, éprouver le besoin d’en dispenser, et l’agressivité qu’on lui demande de décupler tout en la canalisant débouchera sur une initiation à la tendresse. Une belle adéquation réside entre le parcours de Diana et la mise en scène que Karyn Kusama imprime à son récit. Crânement, elle investit un champ dont les femmes sont habituellement mises à l’écart et déploie toutes les qualités qui modèlent un bon poids légers : la vélocité, le sens du placement et de l’esquive. Mais, pas question de totalement sacrifier grâce et élégance sur l’autel du ciné uppercut. Par un noble refus de s’abîmer dans la panoplie des effets, l’outrance spectaculaire ou l’assujettissement au climax, elle s’autorise, réconciliant les antagonismes qu’elle s’était au départ imposés, à faire vibrer sa fibre féministe dans la discrétion plutôt que d’emboîter le pas viril d’une trop mâle Kathryn Bigelow.
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