Depuis la résurrection cinématographique de Jim Jarmusch avec son splendide Dead man, on attend beaucoup de Ghost Dog, la voie du Samouraï, tourné à New York avec Forest Whitaker et Isaach de Bankolé, qui parle ici de sa deuxième expérience de travail avec son ami Jarmusch. Jarmusch écrit pour les acteurs. J’étais à New York […]
Depuis la résurrection cinématographique de Jim Jarmusch avec son splendide Dead man, on attend beaucoup de Ghost Dog, la voie du Samouraï, tourné à New York avec Forest Whitaker et Isaach de Bankolé, qui parle ici de sa deuxième expérience de travail avec son ami Jarmusch.
Jarmusch écrit pour les acteurs. J’étais à New York lorsqu’ il m’a dit qu’il était en train d’écrire une histoire, qu’il pensait à Forest Whitaker et à moi. Il m’a parlé du personnage, qui était très ami avec Forest, il m’a dit que tous les deux parlaient leur langue et ne comprenaient pas la langue des autres : ça m’avait excité comme rapports, comme champ de travail à explorer.
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Pendant la période d’écriture, Jim m’envoyait des scènes, me demandait comment ça pouvait tenir en français (je parle français dans le film), dans la mesure où il écrit directement en anglais. J’ai donc fait la traduction, il fallait être au plus proche de l’interprétation et de la musicalité de la langue.
Mon personnage est un vendeur de glaces qui a une petite camionnette dans un parc, il est un peu le cri de joie du quartier. Forest, qui joue Ghost Dog, est mon meilleur ami. Le film a été tourné à New York, et plus précisément dans le New Jersey en grande partie, et j’y retrouve les thèmes récurrents de Jim : la disparité, la différence et les divers malentendus qui peuvent naître des différences de langage.
Pour moi, il y a trois personnages qui ont leur langage dans le film. Ghost Dog, avec toute la clique de mafiosi ; Pearline, la petite, dont on ne voit jamais la mère, qui va rencontrer Ghost Dog dans le parc. Et moi dans ma camionnette. Même si Pearline parle le même langage que Ghost Dog, ils sont différents, ils apprennent à se connaître, à s’approcher, parce que cette petite fille est seule aussi. Il y a donc toujours ce thème que l’on retrouve dans les films de Jim : mettre en présence et en rapport des gens qui viennent d’horizons différents, même s’ils vivent dans la même ville ou dans le même quartier, même s’ils pensent différemment. Moi, je suis l’ami de Ghost au moment où l’histoire se déroule, mais je ne fais pas partie de son monde de mafiosi. Les sentiments que Ghost Dog a pour moi sont proches de sentiments fraternels.
Je n’ai pas vu le film fini, je n’ai vu que quelques images quand j’ai fait le doublage : j’aurai le plaisir et la grande joie de le découvrir sur grand écran à Cannes. L’ambiance sur le tournage était très chaleureuse, très jarmuschienne ! Avec Jim, on ne sent pas le travail parce que celui-ci commence bien avant le plateau, au moment de l’écriture : on se parle, on aborde les thèmes, on visualise les personnages ensemble, on trouve des terrains d’entente, donc ça commence avant, ça continue pendant et après à la postsynchro. En plus, indépendamment du fait que l’on aime se retrouver pour travailler, on aime d’abord être ensemble pour boire des coups, passer de bons moments, on est très amis.
Sur le plateau, on n’a pas l’impression de l’effort. Le plaisir, avec Jim, c’est que rien n’est définitif : tout est mouvant, et je pense que c’est la force des grands de laisser un espace mouvant aux acteurs et aux collaborateurs, tout en ayant une vision assez précise de ce qu’ils veulent. Une fois sur le plateau, les choix sont faits en accord avec lui. Il y a eu des répétitions, donc au moment de tourner il parle peu, il explique quelle est la scène, quels sont les différents objectifs de caméra qu’il a envie d’utiliser, ce qu’il veut voir ressortir de la scène, et il vous laisse. Après, quand il pense qu’il a ce qu’il veut, il est toujours ouvert pour les acteurs qui ont envie d’une autre prise, mais il fait très peu de prises en général. Il me reste en mémoire la dernière scène : c’était mon dernier jour de tournage, vraiment intense en émotion. Parce que même s’il a fallu jouer, on finit par se prendre au jeu.
Pour moi, Jim est vraiment un intègre indépendant, et être indépendant et intègre aujourd’hui aux Etats-Unis, c’est avoir beaucoup de cran parce que les tentations viennent de partout. Mais ça vous permet de continuer à faire ce que vous avez envie de faire. J’ai du respect pour tout créateur qui arrive à faire ce dont il a envie, indépendamment des pressions extérieures. »
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