A son meilleur cette semaine dans le nouveau Chabrol, Bellamy, Depardieu nous avait accordé il y a deux ans un entretien fleuve, très libre et chargé de souvenirs. A (re)découvrir ici.
Qu’a fait Gérard Depardieu depuis quinze ans ? Des affaires (certaines ont failli mal tourner), des mauvais films (certains ont très bien marché), quelques premiers rôles dans de grosses cavaleries, beaucoup de participations probablement négociées à prix d’or, et beaucoup de télé (il fut quelques années durant le Fregoli de TF1, ayant à peine le temps de changer de perruque entre Balzac et Monte-Cristo). Il fit tout de même deux films avec deux cinéastes connus et aimés depuis longtemps : Le Garçu de Maurice Pialat et Les temps qui changent d’André Téchiné.
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Du coup, on avait presque oublié qu’il nous avait à ce point importé, que la rupture qu’il a initiée au mitan des seventies est une des plus fortes de l’histoire du cinéma ; qu’elle dépasse même le cinéma, qu’elle concerne des choses pas forcément plus importantes mais en tout cas plus larges, comme la société française, l’identité masculine, celle de la jeunesse aussi, dans l’immédiat après-coup de Mai 68. De tout cela (de la France, des hommes, des jeunes), Depardieu a imposé un visage entièrement nouveau, avec une liberté, une fièvre incroyables. Voyou shakespearien, il vient de la marge, porte en lui la violence anarchique de la zone (qui n’a déjà plus rien de la violence articulée des corps emblèmes de 68 – Clémenti, Kalfon, Léaud), mais quelque chose en lui de plébéien, gouailleur, compulsivement dragueur même, le fait rapidement aller vers le centre – rendant possible avec lui des films populaires d’un genre nouveau (Blier), les plus gros succès de cinéastes de renom (Pialat, Truffaut…) et aussi quelques expériences radicales (Duras, Régy…).
Bestial mais féminin, voix perchée dans une masse de viande, usage totalement neuf de la nudité (Depardieu est la première star masculine – peut-être au monde – à jouer avec autant d’évidence à poil, et dont le sexe, le cul, la chair sont à ce point familiers du public d’une génération), Depardieu a porté toutes les transformations, toutes les contradictions de la société de son époque dans son corps. Nul comme lui n’aura à ce point incarné. Alors on peut comprendre que, la quarantaine passée, il se soit senti un peu fatigué et qu’il ait choisi non pas de disparaître, mais d’être tout le temps là sans y être tout à fait.
Le pari de Xavier Giannoli dans Quand j’étais chanteur (photo ci-dessus) est moins de faire renaître en lui l’étincelle de génie (sa prestation n’a rien d’une performance, il joue plutôt sur du velours), mais plus modestement de le faire aimer, de le parer à nouveau des attributs de la séduction. Aminci, tout doux, serein, Gérard Depardieu revient en chanteur de charme. Ça lui va bien. Rencontre donc, dans un restaurant du IIe arrondissement dont il est le très fier propriétaire, et promenade au pays du souvenir de quand il était (le plus grand) acteur.
> À quand remonte votre premier contact avec le cinéma ?
Gérard Depardieu – J’ai été élevé à Châteauroux. Là-bas, il n’y avait rien, alors j’ai beaucoup fréquenté les bases américaines. Je suis né fin 1948 et la base américaine est restée jusqu’en 1963. Quand j’avais 7 ans, en 1955, à la naissance de ma soeur Catherine, que j’ai tirée du ventre de ma mère avec la sage-femme, je n’apprenais rien à l’école primaire. Tout au plus à calculer. J’ai tout de suite été fasciné par la culture américaine, les premiers Bill Haley, et le cinéma de la base. C’est là que je voyais les films américains de l’époque. Je n’avais pas les moyens de payer, je rentrais dans le noir, en truandant. Mais avant le cinéma, il y a eu le roman-photo. Ma mère lisait Nous deux et j’adorais ça. Ça a déterminé, je crois, mon goût pour les histoires d’amour. Pour moi le cinéma, c’est vraiment ça, des histoires d’amour. Tout le monde en a vécu, mais pour chacun c’est unique.
Et le rock ?
Je ne me suis jamais attaché à une seule chose. Je me souviens des disques qu’on écoutait à la base, je sentais une énergie très neuve, mais je ne suis jamais devenu spécialiste. A l’époque, j’étais un enfant happé par la vie. J’avais à la fois trop de choses et rien. Tout m’attirait, les films, les livres, les disques, mais rien dans ma culture familiale – entre un père analphabète et une mère toujours enceinte – ne me permettait de construire quelque chose, de me construire un avenir avec ça. Mon seul avenir, c’était le présent qui me tombait dans la gueule. J’étais un peu comme les aborigènes, sans conscience du passé ni du futur. J’étais dans le présent. Et si saint Augustin dit juste, j’étais dans l’éternité. Mais vivre le présent sans angoisse, sans s’effriter, il n’y a que l’enfance qui peut supporter ça.
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