L’inventeur du mythe des morts vivants est… mort. Un paradoxe mais aussi une réalité pour un cinéaste essentiel qui, par l’entremise de ses créatures d’outre-tombe, a proféré quelques vérités bien senties sur les illusions de l’Amérique triomphante.
George Andrew Romero, le père du cinéma de morts vivants a été emporté par un cancer du poumon à l’âge de 77 ans le 16 juillet à Toronto. La disparition d’un cinéaste qui, en plein flower power, en 1968, a initié un nouveau genre cinématographique autour de la mort, a quelque chose d’évidemment déroutant – quoique naturel.
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Pour aller vite, on peut dire que c’est George Romero qui, avec la sortie d’un film en noir et blanc au modeste budget de 114 000 dollars (qui en rapportera 30 millions au fil du temps), a fait entrer le cinéma fantastique (et d’horreur) dans la modernité. Avant La Nuit des morts vivants, le genre restait cantonné à un apparat gothique hérité du XIXe siècle.
Les morts vivants attaquent l’American Way of Life
Dès ce premier film, quasi-huis clos sur un groupe d’hommes traqué par des cadavres sortis de leurs tombes, le cinéaste adopte une position résolument anti-establishment, voire politiquement engagée, c’est à dire “liberal” comme on dit aux Etats-Unis. Mêlant sociologie et politique, ses œuvres ultérieures sur l’univers des “morts vivants”, rebaptisés inexactement “zombies” (figures du folklore haïtien qui par définition ne sont pas véritablement mortes), viseront constamment un aspect ou un autre de l’american way of life dont il sera un des plus virulents contempteurs à travers ses films de genre.
Après La Nuit des morts vivants, dont l’un des thèmes évidents est le racisme, synchrone avec le mouvement des Droits civiques qui atteignait alors son climax aux Etats Unis, Romero fera diverses tentatives dans d’autres registres, qui n’auront pas le même impact. Comme La Nuit des fous vivants, le premier film post-apocalyptique sur des massacres induits par la contamination (chimique) ; ou Martin, relecture hyper cynique du mythe du vampirisme.
Mais Romero restera acerbe et alerte, jamais dupe des mensonges de la société américaine, qui suscite ses jeux de massacre. Voir son retour au cinéma de morts vivants avec Zombie, le crépuscule des morts vivants (1978), son œuvre la plus radicale. Cette histoire d’un groupe de personnes cernée par les morts vivants dans un centre commercial tient à la fois du pop art et de la sociologie. On peut d’ailleurs y voir une version imagée de l’essai de Jean Baudrillard La Société de consommation, paru quelques années plus tôt. Un regard dessillé sur les gâchis et l’immoralité du monde industriel.
Haine du manichéisme et éloge de la marge
Régulièrement, le cinéaste sort de sa saga puis y retourne. Il préfigure la série gore-fun Les Contes de la Crypte avec Creepshow écrit par Stephen King. Puis c’est Le Jour des morts vivants, moins marquant, où il reste fidèle à son diktat absolu : pas de bons ni de méchants. En cela, il diffère radicalement du maître du suspense, Hitchcock, et s’avère infiniment plus réaliste. Celui-ci reste un puritain gothique du XIXe siècle. Romero est un moderne qui n’a que faire du puritanisme et des contes de fée – même s’il les parodie parfois.
Entre 1985 et 2005, le cinéaste s’égare un peu. Deux films intéressants néanmoins : Incidents de parcours, sur un singe assassin, et La Part des ténèbres. Mais c’est son Territoire des morts (2005), quatrième de sa saga “living dead”, qui marquera le plus ; il y imagine une véritable société organisée de morts vivants. Après ce sommet, Romero tourne Chronique des morts vivants, amusante mise en abyme d’un tournage de film d’horreur pris pour cible par les morts vivants. Retour à un cinéma plus fauché mais plus libre. Et enfin, ce sera Survival of the dead (2009), sorti direct en vidéo en France, qui fut un échec commercial.
Il faut dire que le maître a été submergé par son succès, par les innombrables imitateurs de sa Nuit des morts vivants originelle. Le summum étant la série Walking Dead, qui a fait basculer le gore dans le mainstream. Romero n’était pas un grand fan de la série : “Dans l’ensemble c’est juste du soap, avec de temps en temps un zombie, déclarait-il récemment. J’ai toujours utilisé le zombie comme vecteur de satire ou de critique politique, et je trouve que là cela manque”. Sans mode d’emploi ni raison, les morts vivants ne sont que des pantins mécaniques un peu grotesques, plus vraiment des figures satiriques, révélatrices d’une perte de sens et d’humanité dans notre monde impitoyable.
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