De ses débuts au SNL à son statut d’idole lunaire pour hipsters, Yal Sadat consacre une biographie pointilliste à Bill Murray, clown triste mû par ses questionnements existentiels et compagnon fidèle de l’intelligentsia hollywoodienne des 2000’s.
Scientifique farfelu traquant les fantômes dans Manhattan, Monsieur Météo misanthrope piégé dans une boucle temporelle, Cousteau fantasque voguant sous les flots, acteur has been déphasé en plein Tokyo, ou Don Juan fatigué en itinérance existentielle : Bill Murray a su habiter chacun de ses personnages avec la même drôlerie douceâtre, ce mélange d’élégance accorte et d’affliction profonde, d’émotions contradictoires réunies sous les traits désenchantés et pourtant ricanants d’un même visage indolent, que jugulent une nonchalance souveraine et un détachement à toute épreuve, hissés chez lui en art de vivre.
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Un acteur qui fera de l’improvisation une ligne de conduite
Alors qu’Arte rediffuse, le 20 janvier, La Vie aquatique de Wes Anderson (2004), Bill Murray fait parallèlement l’objet d’une biographie savoureuse, lorgnant vers l’essai, signée Yal Sadat, journaliste et critique cinéma chez SoFilm, Première et Carbone.
Moins une biographie exhaustive qu’un nuancier subtil de sa carrière, l’ouvrage (à forte teneur analytique mais plaisamment romanesque) saisit Murray par petites touches, décortiquant sa genèse d’acteur avec acuité : de sa jeunesse un brin désœuvrée (et désinvolte) au milieu d’une imposante fratrie à ses débuts truculents au Saturday Night Live, rampe de lancement idoine pour un acteur qui fera de l’improvisation une ligne de conduite, et de l’esprit de troupe circassienne qui anime les late shows, une forme d’idéal.
“Diogène imbuvable”
Riche en anecdotes, Bill Murray : Commencez sans moi livre aussi une part tempétueuse et moins connue de l’acteur. Derrière la placidité de surface sommeille un ouragan en gestation. “The Murricane”, comme il sera surnommé, se déchaîne à l’occasion : comme lors de cette formidable rixe avec Richard Dreyfuss sur le tournage de Quoi de neuf, Bob ? (Frank Oz, 1991) ; de cette fois où il poussa une productrice revêche dans un lac gelé ; ou encore du tournage d’Un jour sans fin (1993), qu’il rendit infernal à son réalisateur (et ami) Harold Ramis à force de facéties et d’un esprit diaboliquement mutin. Derrière le trublion fantasque et délicieux, un “Diogène imbuvable”.
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Mais ce qui transparaît par-dessus tout, c’est la quête existentialiste d’un acteur qui cherche sa place et questionne constamment sa manière d’habiter son art, et le monde. Plutôt que la Méthode et l’actorat extrémiste de Lee Strasberg (auquel il s’essaie difficilement dans Where the Buffalo Roam (Art Linson, 1980), semi-biopic raté sur Hunter S. Thompson), Murray préfère l’impro et une manière d’investir ses rôles avec ce détachement (paradoxalement chargé d’impériosité) qui ne cessera de le caractériser.
Un gourou hipster affolant la toile à coups de “Bill Murray stories”, ces légendes urbaines, souvent vérifiées
Plutôt que les comédies hollywoodiennes usinées (qui lui valent une célébrité parfois étouffante), c’est dans les coursives hollywoodiennes du cinéma d’auteur qu’il trouvera l’essence de son jeu : chez Sofia Coppola, Jim Jarmusch, et, évidemment, Wes Anderson. Des cinéastes capables de dompter l’ouragan ensommeillé et d’en faire surgir le Bill Murray absolu, celui qu’on l’imagine être dans la vraie vie (pourvu qu’une telle chose existe) : cet être fantasque et un peu triste, diablement drôle et farouchement pince-sans-rire, à l’ironie mordante et l’élégance lunaire, dont la vie ressemble à un happening sans fin.
Celui-là même qui est devenu, au tournant des années 2010, une icône pop chez les millennials, un daddy cool des réseaux sociaux, et un gourou hipster affolant la toile à coups de “Bill Murray stories”, ces légendes urbaines, souvent vérifiées, générées par les délicieuses frasques qu’on lui prête, souvent à raison.
Bill Murray : Commencez sans moi de Yal Sadat (Capricci stories), 126 p., 11,50 €
La Vie aquatique de Wes Anderson sur Arte le 20 janvier à 20 h 55
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