Le cinéma parlé du maître de Porto dans sa forme la plus épurée mais avec un casting royal.
Plus il prolonge sa longue vie, plus Oliveira épure son art, semble filmer depuis le seuil de l’au-delà.
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Adapté d’une pièce d’un certain Raul Brandão, Gebo et l’ombre se déroule dans une pièce unique, chichement éclairée par une lampe à pétrole (parfois, on ne voit quasiment rien, c’est Oliveira et l’ombre), et se structure en longs plans-séquences fixes, cadrant frontalement les protagonistes.
Soit Gebo (Michael Lonsdale), un comptable paisible et usé, sa femme Doroteia (Claudia Cardinale) et leur bru Sofia (Leonor Silveira). Ils se désolent de l’absence de João, leur fils/époux disparu.Doroteia est à vif, Gebo et Sofia semblent plus fatalistes.
Alors qu’il pleut sans discontinuer (hors champ), l’attente est l’occasion de conversations sur le sens de la vie. Parfois des voisins passent prendre le café (Jeanne Moreau, Luís Miguel Cintra), discutent politique, art et argent.
Le musicien Chamiço se plaint du manque de moyens pour éclairer sa scène, et on croirait entendre Oliveira parler de son film (ou Barroso parler de son pays endetté et sous tutelle ?).
Le fils pas si prodigue revient un soir. Débats enflammés entre lui et son père : la vie, est-ce la répétition routinière et paisible des mêmes gestes ou la liberté, l’aventure, la révolte, jusqu’au vol ou au crime ?
Dans une maison éclairée par Rembrandt, comme circonscrite à l’espace réduit d’une table et quelques chaises (déjà un tombeau ?), en une époque indéterminable (XIXe siècle ? de nos jours ?), Oliveira fait entrer toute sa vie et le monde, brosse son portrait (et celui de son pays) en forme de bilan interrogatif d’une œuvre et d’une existence (faut-il protéger ses proches de vérités douloureuses ?).
Au début, le minimalisme théâtral du dispositif déroute un peu. Puis on se prend à la rigueur économe de la mise en scène, on se laisse envoûter par ces ruminations existentielles, servies par des acteurs magnifiques (la fièvre et la voix rauque de Cardinale, le délicieux phrasé de Cintra…) et un Michael Lonsdale immense.
Film parlé et théorique, Gebo et l’ombre dispense aussi le plaisir concret, simple, immédiat, de voir de grands comédiens au soir et au sommet de leur art.
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