Baz Luhrmann aux manettes + Leonardo DiCaprio dans le costume de Gatsby : on redoutait la
pièce montée indigeste. Finalement, la crème est délicieusement fouettée. Portée par une BO et des acteurs géniaux, l’adaptation pyrotechnique et en 3D du chef-d’œuvre de Francis Scott Fitzgerald se révèle une bonne surprise.
Bienheureux le spectateur qui pique du nez durant la première demi-heure de Gatsby : il se débarrasse du superflu pour ne garder que le meilleur. Sous la houlette de Baz Luhrmann, l’adaptation du best-seller de F. S. Fitzgerald recelait une promesse et un danger : la fresque baroque et orgiaque des années 20 – ces “années folles”, comme on a coutume de les appeler, sorte de parenthèse magique noyée dans l’alcool et le jazz, livrées aux divinités kitsch qui président à tous les films du réalisateur australien.
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La première partie de Gatsby le Magnifique s’avère une débauche d’effets visuels et sonores. L’arrivée de Nick Carraway (le narrateur, joué par Tobey Maguire), jeune financier désœuvré, au sein d’une petite bande d’ultraprivilégiés de Long Island, entraîne un cortège de réjouissances se traduisant à l’image par un montage syncopé, une bande-son tonitruante et un faste plein de fioritures décuplé par la 3D.
Le tour de force formel est chez Luhrmann comme une peau dont la fiction doit progressivement se débarrasser. Cette mue, le cinéaste excellait à l’accomplir dans sa trilogie musicale – Ballroom Dancing, Roméo + Juliette et Moulin Rouge – autant qu’il la foirait magistralement dans son mélo néocolonial, Australia.
En adaptant ce roman mythique de 1925, le metteur en scène n’a pas d’autre choix que de plier son décorum au récit. Jay Gatsby (Leonardo DiCaprio), millionnaire au passé trouble, ne parvient pas à oublier son amour de jeunesse, Daisy Buchanan (Carey Mulligan, la fiancée diaphane de Ryan Gosling dans Drive), tornade blonde mariée à un riche héritier volage (le démentiel Joel Edgerton) et cousine germaine de Nick Carraway.
C’est ce lien de parenté qui vaudra à ce dernier la fonction d’entremetteur entre Gatsby et l’objet de son désir – passion qui ne tardera pas à tourner au délire obsessionnel, puis à une forme d’autodestruction.
Quand le couple du film se retrouve après cinq ans de séparation, c’est dans une pièce saturée de lys blancs, sous l’œil complice de leur discret bienfaiteur, voyeur pour les besoins de la narration et peut-être fervent trioliste – qui sait ? Un DiCaprio ruisselant de pluie se présente à sa belle frémissante, désormais engagée ailleurs. Après le passage en revue de toutes les attitudes de l’amant emprunté, raide ou burlesque, le visage de l’acteur-soupirant renoue avec la rondeur pure de sa jeunesse, qu’on lui a connue derrière la paroi floutée d’un aquarium (Roméo + Juliette) ou à la proue d’un paquebot en sursis (Titanic). Glissé dans les habits de Gatsby, DiCaprio ressuscite les traits juvéniles du premier amour pour les noyer, au fil de ce mélo, dans les rides de la désillusion.
Le piège qui se referme sur notre lover relève autant de la chimère amoureuse que du fatum social, une dimension que Luhrmann souligne à coups de travellings clivants entre l’illustre demeure des Buchanan (East Egg) et la villa surfaite de Gatsby (West Egg). Plus encore que son modèle littéraire, Gatsby/ DiCaprio campe ici un parvenu mélancolique, héros d’origine modeste en quête de magnificence, se forgeant une identité à travers la maestria splendide de ses fêtes. Si le cinéaste se montre aussi éloquent sur cette facette du mythe Gatsby, c’est qu’il y projette possiblement son propre complexe de créateur : celui qui aurait besoin d’en faire des tonnes, en truffant l’image d’arabesques folles, pour se sentir légitime.
De cette pyrotechnie formelle naissent de belles surprises : le choix pour la BO d’une mixture hip-hop, concoctée par Jay-Z et Beyoncé, est un pari audacieux et réussi. A une nostalgie fabriquée, Luhrmann oppose l’allégresse du be-bop convertie à la fièvre du rap et du r’n’b. Une séquence l’illustre, quand retentit la reprise par Beyoncé de Back to Black d’Amy Winehouse, ode au blues que la scène finit par libérer comme on lâche les chiens dans un prodigieux fondu-enchaîné musical.
Quant à l’usage de la 3D, il fallait toute la fantaisie d’un cinéaste souvent taxé de pompiérisme pour oser l’accoler à un monument de littérature classique. Par ce procédé, habituel apanage des blockbusters SF, Baz Luhrmann parachève son appropriation de l’œuvre, transformant la prose glacée et arachnéenne de Fitzgerald en mélo étourdissant. A l’écran, peu de motifs en relief (des flocons de neige, l’envolée d’un rideau chatoyant…) mais une belle sensation de vertige : la mise en scène alterne les vitesses, entre brusquerie et effet toboggan, s’offre des plongeons d’envergure olympique et ne s’interdit pas quelques tours de magie. Passé au crible de cet effet spécial, Gatsby le Magnifique reste solidement amarré aux rives de l’imaginaire.
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