Parcours sans faute pour le jeune comédien mexicain Gael Garc’a Bernal. Travailleur exigeant, il est devenu en quelques films l’un des visages du cinéma d’auteur.
L’image la plus juste de Gael Garc’a Bernal se trouve dans La Mauvaise Education. Dans cette histoire échevelée, où toutes les identités s’échangent, GGB est, à un moment du récit, un apprenti comédien qui essaie de décrocher son premier rôle contre l’avis du metteur en scène qui ne croit pas en lui. Ce rôle, c’est celui d’un transsexuel qui se produit dans les cabarets. On suit alors le jeune acteur dans une boîte de travesti et on le voit noter de façon très appliquée, avec ce froncement de tout le visage propre aux enfants qui se concentrent, tous les gestes, mimiques, postures d’un travesti imitant Sarah Montiel. Face au modèle, le comédien reproduit progressivement un regard oblique, une bouderie de la bouche, une inflexion de tête.
Nul doute qu’Almod’var, par-delà son personnage, fait aussi le portrait d’un comédien, dont on sent dès ses débuts, dans Amours chiennes d’I rritu, un go t pour la méthode, l’Actor’s Studio et le travail patiemment construit. Sa confrontation avec Charlotte Gainsbourg dans le film de Gondry marque d’ailleurs la rencontre de deux idées du travail d’acteur radicalement opposées.
D’un côté, une conception très européenne, fondée sur la présence, le charme très singulier d’une personne (Charlotte), qui aspire le personnage, le plie à ses dimensions (dans ce registre à la fois très fin et assez minimal, la comédienne réussit sa plus belle création depuis assez longtemps). De l’autre, au contraire, un go t marqué de la composition, un sens consommé des effets, une façon de ne jamais cesser de jouer. Même lorsque Gael Garc’a Bernal ne fait rien dans un plan (passer une porte, entrer dans une pièce et regarder autour de lui, respirer), il joue, construit, compose.
« C’est vrai que je n’ai pas envie d’être moi sur un écran, de me ressembler. Au final, que je sois le jeune Che Guevara (dans Carnets de voyage de Walter Salles Ð ndlr), le Stéphane de Michel Gondry ou le travesti de La Mauvaise Education, c’est toujours moi sur l’écran. Mais en parlant avec le cinéaste, j’essaie d’aller vers quelque chose d’humain en dehors de moi. Souvent, j’essaie de définir le personnage par quelque chose de spécifique, le ramener à une idée simple qui pourrait être un fil conducteur. C’est ce que j’ai fait avec Michel, on a essayé de définir une façon de bouger spécifique, ayant à voir avec l’enfance. Mais quand on joue ensuite, on élargit la palette sans vraiment savoir ce qu’on fait. La ligne définie devient complexe, vivante. »
Gael Garc’a Bernal débute au Mexique adolescent dans des soap operas et des courts métrages. Il obtient alors une bourse pour étudier la comédie à Londres, où il séjourne trois ans à la fin des années 90. « Pour moi, c’est à partir de ce moment que je suis devenu acteur. Avant, je ne savais pas vraiment ce que je faisais. » C’est à son retour qu’I rritu lui offre son premier rôle au cinéma, celui du mauvais garçon féru de combats de chiens dans Amours chiennes. Avec I rritu, il rencontre une génération de jeunes metteurs en scène mexicains sur le point de conquérir la scène internationale, et dont il devient une figure de proue. Alfonso Cuar n lui donne le rôle principal de Y tu mam también et il retrouve I rritu dans Babel, aux côtés de Brad Pitt, primé à Cannes en mai dernier.
« Il existe une nouvelle vague de cinéastes au Mexique. J’ai d’abord connu I rritu sur des pubs, avant Amours chiennes, et il m’a présenté à Alfonso Cuar n. Ils sont très proches, se parlent beaucoup. Mais il y a aussi Guillermo del Toro ou Carlos Reygadas, que j’admire beaucoup, ou Amat Escalante (auteur de Sangre Ð ndlr). Le Festival de Cannes, et particulièrement Thierry Frémeaux, a beaucoup fait pour la reconnaissance de cette jeune scène cinématographique mexicaine. Et même pour l’Amérique du Sud, en sélectionnant les films de Lucrecia Martel ou de Pablo Trapero. Je connais aussi ces jeunes cinéastes argentins. Et je me sens proche de leur cinéma. Je crois que l’Amérique du Sud au sens large, du Mexique à l’Argentine, a émergé comme une nouvelle région vraiment créative du cinéma. » La particularité de cette jeune scène est sa mobilité. Del Toro fait des films en Espagne et aux Etats-Unis. Cuar n (Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban) et I rritu ont pénétré Hollywood. GGB a travaillé en Espagne, en Argentine, aux USA et désormais en France.
Gael Garc’a Bernal aime les films de Truffaut, Bresson, et aussi Bu’uel, comme un lien entre le cinéma français et mexicain. Il parle longuement de sa passion pour Maria Felix, star du cinéma mexicain des années 40 et 50, qui fit quelques films en France (dont le French Cancan de Renoir). « Elle avait une voix plus grave que Tom Waits ! » Il nous apprend aussi que Martin LaSalle, l’acteur principal de Pickpocket de Bresson, est mexicain et a connu après Bresson une longue carrière au cinéma et au théâtre à Mexico. Si la carrière de GGB parcourt plusieurs territoires nationaux du cinéma mondial, elle se signale aussi par son attachement à la figure de l’auteur. Almod’var, Gondry, I rritu, Cuar n, Salles : les choix du jeune comédien le portent vers une certaine qualité internationale, un cinéma de festival, plutôt que vers un cinéma de pur divertissement. « Je crois qu’un bon film est toujours l’ uvre d’une seule personne, le cinéaste. Il faut qu’il y ait un œil derrière la caméra. J’aime me glisser dans l’univers d’une personne. C’est pour ça que je ne trouve pas mes marques, même comme spectateur dans le cinéma hollywoodien d’aujourd’hui, où le réalisateur est un exécutant du film parmi d’autres. Alors que j’adore le cinéma américain des années 60 et 70. Si je fais du cinéma, c’est probablement à cause de Taxi Driver. »
Faire du cinéma pourrait prendre pour Gael Garc’a Bernal un tour différent dans les années à venir : il vient d’achever le tournage de son premier film de cinéaste, intitulé Déficit, dans lequel il est aussi comédien et qui décrit les destins croisés de Mexicains appartenant à différentes classes sociales. n