Comique élastique mais pas en toc, Gad Elmaleh, le Marocain
le plus poilant qu’on ait goûté ces dernières années, s’installe à l’Olympia avec La Vie normale, son second one-man show.
Le Jacques, Gad Elmaleh le fait comme Tati : avec malice, tendresse, et une présence physique inouïe. Quand Gad danse avec son pote Jamel sur des versions raï d’Henri Salvador, on reprend illico tout ce qu’on a pu écrire sur la phénoménale élasticité du corps de Jim Carrey : l’homme-caoutchouc, c’est Gad Elmaleh, le natif de Casablanca, comique tout-terrain, aussi à l’aise sur scène qu’au cinéma (où il débute en 1996, dans le Salut cousin de Merzak Allouache). Elastique, mais pas en toc. Car derrière Gad le tonique, ses grimaces et ses mimiques, se cache un éternel nostalgique qui, depuis ses 16 ans et son départ pour le Canada, tient dans un coin de sa tête le carnet de bord d’une vie passée le cul entre deux chaises. De ce grand écart permanent, il a tiré un redoutable premier spectacle, Décalages, véritable one man psy-show, analyse poignante et truculente de l’aventure d’un jeune comédien trimballé trop vite entre Montréal et Paris.
Nostalgique mais pudique, Gad El Malin raconte sa vie au travers de personnages récurrents : Baba Yiah le grand-père bougon, garant des racines marocaines, ou Abderrazak, jeune comédien un peu trop de là-bas pour plaire ici qu’on retrouvera d’ailleurs reconverti en agent immobilier dans le second spectacle d’Elmaleh, La Vie normale. Une façon de faire le point, de regarder dans le rétro avec humour, debout, sans peut-être s’allonger sur un divan charlatan.
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Gad Elmaleh : Dans ma famille, il y a toujours eu une certaine façon de voir la vie avec autodérision. Un regard décalé sur nous-mêmes. On se charriait les uns les autres. Avec mes frères, on se moquait pas mal des gens qui venaient à la maison. J’ai toujours senti ce que j’aimais dans l’humour, mais pendant longtemps, je ne suis pas parvenu à le nommer. C’est avec le temps que je me suis aperçu que c’était la mécanique d’inversion, la langue réinventée, le burlesque. La chose dont j’ai vraiment peur dans mes spectacles, c’est que les gens ne me comprennent pas. Je rêverais de faire un spectacle qui soit totalement basé sur l’absurde, mais je n’en ai pas encore le courage.
As-tu démonté et développé ce goût pour l’absurde à travers certaines influences ?
J’ai une culture cinématographique très réduite, mais je dois dire que les films de Chaplin et de Woody Allen m’ont marqué. Tous les deux sont des modèles pour moi : des inventeurs de problématiques qui n’existent pas. C’est aussi en voyant leurs films que je me suis rendu compte que cet humour absurde me parlait, que c’est dans ce style d’écriture que j’étais le plus à l’aise.
En te regardant bouger sur scène, on pense aussi beaucoup à Jacques Tati…
Putain ! (flatté)… J’adore Jacques Tati. Mon Oncle est une référence pour moi. Tati aussi est un maître de l’absurde. C’est bon, on peut arrêter l’interview, on m’a comparé à Tati, j’ai eu ce que je voulais…
Quand t’es-tu rendu compte que tu pouvais faire rire les autres ?
Gamin, ce qui m’intéressait au-delà de tout, ce n’était pas de faire rire, c’était d’être le centre d’attraction, qu’on me regarde, qu’on m’aime. Mais surtout qu’on me regarde. Quand tu es petit, tu ne peux pas faire en sorte que tous les regards se portent sur toi parce que tu as dit quelque chose d’émouvant. Très jeune, j’ai donc su qu’il fallait que je fasse un métier où je serais exposé, que je sois au centre de ce qui se passe. Donc mégalomane, très jeune.
Et quand as-tu compris que tu pouvais faire de l’humour ton métier ?
Il n’y a pas eu de déclic. Je savais depuis tout petit que j’allais finir dans ce métier, succès ou pas. Donc prétentieux, très jeune aussi. En revanche, il y a un moment précis où j’ai décidé de faire ce métier, d’aller m’inscrire dans un cours d’art dramatique.
Ton père était mime. Le spectacle était-il une tradition familiale ?
Non, je ne suis pas un enfant de la balle ! (rires)… Le mime pur ne m’a jamais intéressé, c’est quelque chose qui m’ennuie même, au grand désespoir de mon père. En revanche, je me suis beaucoup inspiré de son travail sur le corps, sur la gestuelle.
L’écriture de Décalages, qui est un spectacle assez autobiographique, a-t-elle été douloureuse ?
J’ai voulu parler de trucs que je connaissais : le départ, le voyage, l’envie d’aller voir ailleurs, le décalage culturel. Pour certains passages, ça a été difficile, oui. Mais ça m’a fait du bien, j’avais besoin de me purger pour mieux assumer mes origines. Mais il me reste encore pas mal de boulot à faire sur moi-même.
Est-ce que le fait d’écrire un spectacle t’a permis de te prouver des choses ?
Oui, ça a été une manière de combattre la position du jeune comédien qui sort du Cours Florent et qui attend chez lui « qu’un réa lui propose un long ». La définition de la déprime pour moi, c’est d’attendre que ça se passe. Ecrire ce spectacle, c’était une manière de dire aux réalisateurs ou aux metteurs en scène : « Venez me voir, j’existe, je sais jouer plein de personnages, je peux faire rire, je peux être émouvant… Venez me voir ! » C’était un truc un peu naïf de ma part, peut-être, mais j’en ai eu besoin. Je n’envisage pas l’idée d’attendre d’être un beau jour l’objet du désir d’un réalisateur. J’ai besoin de m’engager, de me donner du boulot.
Cette façon effrénée de bosser, c’est parce que tu te sens inadapté à la vie de tous les jours ?
Il y a un peu de ça. Une peur de l’ennui, de la non-créativité. Ça me permet de m’échapper. J’essaie de faire quelque chose de chaque situation de ma vie. Mais tout ça se fait de manière inconsciente, je ne calcule pas. Je gamberge énormément quand je me retrouve seul à ne rien faire. En revanche, je suis très heureux d’être seul lorsque j’écris, c’est une véritable jubilation. Ce sont des moments vraiment très forts : j’écris, je corrige, je relis mes notes.
Tu as encore besoin d’une bande d’amis autour de toi, comme les Vigons, la bande de potes de ton enfance ?
Avec les Vigons, on s’est connus à Casablanca, en classe de sixième. On n’était pas très productifs. Du point de vue de la société, on n’apportait pas beaucoup (rires)… On allait à la plage, on faisait des feux de camp, on allait en boîte, on essayait de faire rire des filles. On a traîné et glandé énormément. On passait notre temps à s’envoyer des vannes, à se charrier. Des heures entières. Cette tendance très méditerranéenne à s’envoyer des vannes en permanence, ça nous a permis d’éviter la psychanalyse. Aujourd’hui encore, quand je les retrouve, on se met à une terrasse et on s’envoie des vannes. Tout ça me fait beaucoup de bien.
L’école, c’était comment pour toi ?
J’avais un rapport très affectif avec l’école (sérieux)… J’ai beaucoup aimé la classe de sixième, tellement que j’ai décidé d’en refaire une autre. Idem pour la cinquième et la quatrième. Mais c’est à la troisième que je me suis le plus attaché, à tel point que j’ai voulu en faire une autre, puis une autre. On m’en a empêché, et ça a été un véritable déchirement (rires)… Je n’ai pas d’excellents souvenirs de l’école. Certains profs ont parfois voulu me faire croire que j’étais un peu bête. Ce sont les mêmes qui viennent aujourd’hui me dire : « Mon petit Elmaleh, je suis très fier, je savais que vous alliez réussir ! » J’étais aussi très triste parce que j’avais le sentiment de décevoir mes parents. C’est pour ça qu’aujourd’hui je suis vraiment heureux de pouvoir leur prouver que j’arrive à m’en sortir.
Quelle était l’importance de la culture francophone à la maison ?
Le français est ma langue maternelle. On ne parlait arabe que lors des grosses colères ou des élans affectifs. J’ai baigné dans la culture française. Mon père avait des cassettes de Pierre Dac. Je trouvais ce mec complètement fou furieux, génial.
Enfant, avais-tu déjà ce besoin de tordre la langue à ta façon ?
J’ai toujours beaucoup aimé la langue française, même si je n’ai jamais été un grand lecteur. Je crois d’ailleurs que ce besoin de jouer avec la langue vient d’une certaine forme de complexe. Un complexe d’inculture littéraire. Alors je crée ma langue à moi. Face à des gens très cultivés, j’invente des auteurs, des passages, pour me protéger.
La musique a une grande importance dans tes spectacles. Quelle a été la place de la musique dans ton éducation ?
La musique est arrivée très tôt. Mes parents adoraient Chopin. Sa musique a marqué mon enfance. Môme, je rêvais de devenir une sorte de Michael Jackson. J’avais sa photo au mur, je reproduisais ses concerts dans ma chambre. Je me suis mis très tôt à la musique, à jouer du piano, à faire des percussions sur les capots de voitures, dans les rues de Casa. J’ai toujours eu une vraie intimité avec la musique. Aujourd’hui je vais souvent aux concerts. Récemment, j’ai été voir Salif Keita à La Cigale j’adore ce type. J’écoute aussi beaucoup de jazz, surtout des pianistes, comme Ahmad Jamal ou Michel Petrucciani. J’aime aussi le hip-hop, mais là je suis un peu plus sévère. Trop de mecs font une sorte de hip-hop systématique et pseudo-violent. Mais quand c’est sincère, quand c’est la belle époque de NTM, quand c’est IAM, Disiz La Peste, ça m’éclate. Je suis aussi un grand fan de freestyle, ces mecs qui improvisent à la radio, par téléphone, qui réussissent toujours à retomber sur leurs pattes. Ce que je déteste, en ce moment, c’est les mecs qui font du R’n’B, leur trip « lover », genre (il chante) : « Donne-moi ton numéro… Je t’appelle ce soir… On va en boîte… T’es bonne… »
Tu continues à faire de la musique ?
J’aimerais en faire plus. J’aimerais chanter, écrire des textes. Je sens que je serais très frustré si je mourais sans l’avoir fait. Pas simplement pour le fait de faire un disque, mais juste pour me réaliser. Même si j’en vends trois : à ma tante, ma mère et mon oncle.
Est-ce que quelqu’un t’a botté le cul à un moment donné de ta vie ?
C’est un bon pote à moi qui, un jour, en prenant un café à Saint-Germain, m’a presque engueulé, dans le bon sens du terme. Il m’a secoué, m’a dit « C’est dommage de nous jeter des vannes à nous, fais un spectacle ! » Et puis aussi quelqu’un, au Québec, à qui j’avais confié que je voulais faire un spectacle, qui un beau jour m’a dit : « J’ai réservé une salle, tu joues dans un mois. » Et je n’avais rien écrit. Du coup, je me suis mis au boulot. Je ne fais les choses que si je suis vraiment obligé. Je doute trop de moi pour me lancer.
Comment es-tu parti au Québec ?
C’était une décision personnelle. Quand je levais la tête et que je voyais les avions dans le ciel de Casa, je me disais que j’avais envie d’être dedans pour me barrer. Quand je suis parti pour le Québec, je ressentais un grand sentiment d’exaltation. On retrouve ça dans Décalages, quand je suis dans l’avion pour Montréal, et qu’on entend La Cinquième Symphonie de Mahler, un truc de fou. C’est le sentiment que j’ai éprouvé sur le moment. J’avais 16 ans, c’était une telle joie de partir, mais en même temps un tel déchirement. Je laissais ma mère, ma famille, mes potes de Casa…
Qu’as-tu fait au Québec ?
J’ai fait pas mal d’excès, j’ai découvert la nuit, du jour au lendemain, les filles aussi. La naïveté québécoise, quel bonheur ! Au Maroc, je n’avais presque pas le droit de sortir. J’ai trouvé là-bas une culture très différente. Le rapport au temps surtout. Ayant grandi au Maroc, j’avais un rapport au temps très élastique. J’allais également beaucoup voir les matchs des ligues d’improvisation, je trouvais ça génial. Ces mecs se jetaient dans l’arène : on ne savait pas ce qu’on allait voir, ils ne savaient pas ce qu’ils allaient jouer. J’ai essayé d’en faire, mais je n’étais pas très bon. Je m’étais aussi inscrit à des cours de sciences politiques et je me suis fait virer c’est très rare de se faire virer de la fac au Québec.
Quand décides-tu de faire tes valises pour Paris et le Cours Florent ?
A mon arrivée au Québec, je me suis dit que j’allais y passer ma vie. Mais à un moment, j’ai réalisé que si je voulais être comédien, il fallait que j’aille en France. J’ai alors décidé d’aller au Cours Florent. C’était une décision très naïve. J’ai demandé quel était le cours d’où sortaient tous les grands acteurs français. On m’a parlé du Cours Florent.
Une fois là-bas, es-tu en marge ou t’impliques-tu ?
Je suis à fond dedans. Je lis Claudel, je mets des manteaux noirs, je ne me rase pas, j’ai les cheveux en pétard, je vais voir des spectacles underground, je répète dans des sales glauques : je me la joue jeune comédien, avec tout ce que ça représente comme clichés bidons. A l’époque, je me racontais un truc, j’étais quelqu’un d’autre je m’en suis rendu compte plus tard. J’ai compris que le théâtre, ça n’était pas ça, qu’on pouvait faire des choses plus populaires et tout aussi belles.
Au cinéma, tu n’as pas peur d’être enfermé dans le rôle du juif marocain rigolo de service ?
Bien sûr, si à la fin de ma carrière les gens me disent « Ah oui, Gad Elmaleh, le Marocain de service », j’aurais les boules. Mais la route est encore longue, et j’ai besoin de tenter des choses différentes. En bossant avec Merzak Allouache, un cinéaste algérien engagé, avec Eric Rochant, ou en faisant un film populaire comme La Vérité si je mens 11, je crois que j’ai montré que je pouvais bosser avec différentes familles de cinéma, me renouveler.
Est-ce qu’on n’essaie pas parfois de te pousser à faire du cinéma coûte que coûte, en te disant que c’est incontournable ?
Jamais je ne me suis dit (sérieux) : « Tu viens de finir ton spectacle, tu devrais t’accorder un break pour te lancer un peu plus dans le cinoche, pour mieux bétonner ton image. » J’ai refusé beaucoup de films. Des mecs m’ont appelé en me disant qu’ils voulaient que je fasse au cinéma ce que j’avais déjà fait dans mon spectacle. C’est un manque d’imagination, voire de respect.
Tu es aussi très sollicité par la télévision. Ne redoutes-tu jamais de devenir un « bon client », une sorte d’Elie Seymoun ?
En ce moment, je pourrais aller à la télévision tous les jours. Je refuse beaucoup de choses, je fais des choix : je refuse de faire des vannes à la chaîne, de me mettre un poulet sur la tête pour faire rire les gens. J’ai des amis avec qui je partage cette vision du métier. On parle par exemple beaucoup de ça avec Roschdy Zem, dont je suis très proche. Mais je réfléchis aussi beaucoup dans mon coin je n’ai pas encore de « préposé à la fermeté ».
Le personnage récurrent du grand-père dans tes spectacles, est-ce une commodité de scène ou t’es-tu inspiré de la réalité ?
C’est parti de mon propre grand-père : quelqu’un qui m’a beaucoup marqué, qui était d’une grande sagesse, qui parlait peu et touchait juste. Peut-être que mon grand-père n’avait pas la même magie ou la même poésie que le personnage, je l’ai peut-être idéalisé. C’est une sorte de tribute à mon grand père. Je trouvais aussi que mettre des discours sur la modernité dans la bouche du grand-père, c’était dix fois plus fort.
Qu’as-tu ressenti en jouant à ton spectacle Alger ?
C’était un moment très fort. Tu y vas simplement pour jouer, et puis tu arrives dans un contexte socio-politique qui fait que les mecs ne vont pas simplement voir un spectacle de Gad Elmaleh, mais un spectacle tout court : ils n’en avaient pas vu depuis cinq ans ! Je ne me rendais pas compte de tout ça avant d’y aller, je ne m’attendais pas à voir les gens gueuler mon nom : pour eux, c’était une bouffée d’oxygène.
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