Le cinéaste autrichien réalise le remake d’un de ses films sorti en 1997 afin d’atteindre le vrai public de cet objet sadique et antiviolence : les Américains. Une démarche qui laisse dubitatif.
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Partie en week-end dans sa somptueuse résidence secondaire, une petite famille aisée reçoit la visite de deux jeunes hommes très polis, habillés en joueurs de tennis et portant gants blancs, qui leur annoncent très calmement qu’ils ont décidé de les tuer. Le cauchemar ne fait que commencer.
Petit retour en arrière. En 1997, Michael Haneke choque la Croisette avec Funny Games, qu’il réalise en Autriche et en allemand avec des acteurs inconnus. A l’époque, critique et public sont partagés. Certains applaudissent à cette dénonciation virulente du cinéma de violence comme produit de consommation banalisé qui s’amuse à jouer en toute impunité avec les êtres humains. Les autres ne tolèrent pas d’être pris en otages par un cinéaste qui leur renvoie une image dans laquelle ils ne se reconnaissent pas. “Alors, ça vous plaît ?”,demande le personnage de tueur à la caméra avec un petit sourire… pas forcément, non.
Pour celui qui refuse ce reflet trop facile qu’on lui tend, une seule solution : sortir dela salle. Onclame alors qu’Haneke est un moraliste. Il nous choque, mais c’est pour notre bien, parce que nous ne nous rendrions pas compte des crimes dont nous nous repaissons et dont nous serions nous-mêmes les complices, par le plaisir que nous prenons à leur spectacle. Le problème, c’est qu’Haneke projette sur son spectateur des sentiments qui ne sont pas forcément les siens. Pire encore, sa position morale est quand même difficilement tenable, puisqu’il dénonce des outils qu’il utilise lui-même avec une maîtrise assez confondante : cruauté mentale et physique insupportables, jusqu’à ce retour en arrière dans le temps, dans l’une des scènes les plus connues du film, qui retire aux gentils la moindre chance de triompher du mal, puisque le scénario est du côté des tueurs…
Cas étrange, cet Haneke. Aujourd’hui, il remet le couvert de Funny Games en nous livrant son remake américain. Première question : pourquoi réaliser un remake ? Le cinéaste répond dans le dossier de presse : “Lorsque, dans les années 1990, j’ai commencé à songer au premier Funny Games, je visais principalement le public américain. (…) Cependant, parce que c’était un film en langue étrangère et que les acteurs étaient inconnus des Américains, le film original n’a pas atteint son public.” Le dessein est donc clair : ce Funny Games U.S. est un message, qu’on peut juger coûteux (mais après tout, ce n’est pas notre argent), adressé au spectateur américain, qui attendait bien sûr Haneke comme son sauveur pour se voir expliquer que ce n’est pas bien de jouer avec les images dela violence. Curieuse, cette obstination à vouloir absolument atteindre un certain auditoire avec un message.
La deuxième question est d’un autre ordre : pourquoi réaliser un remake quasiment identique, plan pour plan, de l’original autrichien ? On peut penser que le Psychose de Gus Van Sant (copie plan par plan du film d’Hitchcock) est un travail expérimental, conceptuel sur
le thème dela copie. Ici, il n’en est rien, d’abord parce qu’Haneke succède à Haneke derrièrela caméra. Rienn’est changé, sinon les acteurs et la langue utilisée (Naomi Watts, Tim Roth et Michael Pitt jouent très bien cette partition). Bien au contraire, le film laisse l’impression qu’Haneke, artiste très content de lui, cherche à produire un véritable décalque de son premier film, si parfait qu’il ne faudrait surtout rien y changer. Haneke a bien de la chance : on lui paie des films-joujoux inutiles (conseil à ceux qui ont vu la première version : n’allez pas voir celle-là, c’est la même chose) pour avoir le seul plaisir de choquer son public.
Alors pourquoi tout cela ? Certes, Haneke est un cinéaste, un cinéaste même talentueux et redoutable – d’efficacité, de maîtrise des plans, du cadrage, du temps –, ce n’est pas à remettre en cause. Son film est d’une certaine façon une réussite, si l’on considère que le but d’un film est de provoquer un choc, une réaction, des sensations chez le spectateur. Mais ce qui est le plus irritant, une fois de plus, c’est que le cinéaste autrichien ne puisse s’empêcher de revêtir ses films d’un couche théorique qui nous fait bien rire quand elle ne nous agace pas.
Haneke excelle dans la monstration du sadisme sans doute parce qu’il a des fantasmes sadiques – la répétition du même petit scénario, le fait que les victimes soient une famille bourgeoise cultivée, confirmeraient ce diagnostic. Ce qui ne nous pose aucun problème. C’est même très intéressant. Mais ce qui est insupportable, c’est que ce sadisme ne soit pas assumé, et qu’Haneke nous serve à la place une leçon de morale sur l’abjection de la violence des images. C’est cela qui est abject dans ce Funny Games U.S. : pas son sadisme, mais sa tartufferie. Avec ses signes qui ont fait sa renommée et qui lui restent attachés (comme la fameuse balle de golf qu’on voit même rebondir sur le site officiel du film), par quel miracle ce nouveau Funny Games échapperait-il au statut d’objet de consommation dont tout l’attrait serait basé sur sa violence ?
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