?(?) Par sa richesse de niveaux de lecture, sa modernité confondante, Frontière chinoise est aussi le plus radical des coups de balai sur une image jaunie et poussiéreuse du cinéaste, à la fois condensé et commentaire malicieux de toute son uvre. On est en 1935, à la frontière sino-mongole et le film débute par des […]
?(?) Par sa richesse de niveaux de lecture, sa modernité confondante, Frontière chinoise est aussi le plus radical des coups de balai sur une image jaunie et poussiéreuse du cinéaste, à la fois condensé et commentaire malicieux de toute son uvre. On est en 1935, à la frontière sino-mongole et le film débute par des hordes de bandits galopants dans les steppes immenses : on se sent partis pour un bon vieux western d’Extrême-Orient, un western épique. Sauf que Ford se débarrasse des cavalcades et des grands espaces dès la fin du générique, pour pénétrer dans le vif du sujet, c’est à dire dans une mission américaine dirigée par des femmes dévouées à leur religion. On n’en sortira plus et les scènes d’action seront toutes hors cadre, visibles’ uniquement sur les gros plans de visages en contrechamp. L’existence passive et sclérosée de la petite communauté bigote sera perturbée (et revigorée) par une série d’intrusions extérieures : une médecin-accoucheuse athée et sexy, une épidémie de choléra, une horde de brigands mongols, paillards et sanguinaires, concentré de masculinité majuscule A travers une scénographie parfaite (?), Ford se livre à toute une série de réflexions sur les liens entre un individu et une communauté, la religion et le puritanisme, la peur du désir sexuel et son corollaire, la frustration, la maternité et l’altérité, le cycle de la vie. La mission, transposition féminine des forts yankees chers à Ford, est une figure riche de signifiés débouchant sur de multiples lectures possibles du film : cet espace rond et clos peut être perçu comme une cellule qui se protège de virus’ extérieurs, un sexe féminin qui vit dans la crainte et le besoin d’être pénétré, un utérus qui doit être fécondé par l’Autre pour accoucher et produire la vie. (?) Le dernier film de Ford se termine par un meurtre et un suicide. Double mort qui n’est pourtant pas entièrement pessimiste, puisqu’elle a permis une (re)naissance. Avant de porter la coupe mortelle à ses lèvres, Cartwright déclare à l’affreux tyran mongol qu’elle vient d’empoisonner, un définitif So long, bastard !?. On a le sentiment que ce salut, enfoiré !? s’adresse également au réalisateur qui tire génialement sa révérence après cinquante ans de service et quelques cent trente films.?
Frontière chinoise de John Ford, article complet de Serge Kaganski, dans Les Inrockuptibles Hebdo n°13.
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