Ford, comme Mizoguchi ou Dreyer, termine sa carrière par un sublime portrait de femme. Quand les derniers films des grands maîtres sont aussi les plus beaux.
Combien de réalisateurs, après plus de cent films, peuvent s’enorgueillir de quitter la scène avec une œuvre aussi impressionnante ? Frontière chinoise est à la fois un titre surprenant dans la carrière de John Ford et la somme poétique et morale de son cinéma. On peut d’abord être dérouté par le sujet : en 1935, six femmes dans une mission catholique, au fin fond de la Chine, attendent comme le messie le médecin qui pourra accoucher l’une d’elles, proche de la ménopause. Le docteur se révèle être une femme, aventurière qui a fui les Etats-Unis et qui trouve dans cette mission un ramassis de femmes trop jeunes ou trop vieilles, hystériques et bigotes. Le seul homme est un aspirant pasteur faible et ridicule. La doctoresse Cartwright (la splendide Anne Bancroft) est une femme libre qui choque la petite communauté par son comportement et son athéisme. Elle sauvera cependant le groupe à deux reprises grâce à ses compétences et son courage, une première fois lors d’une épidémie de choléra puis à l’arrivée d’une horde de barbares semant la mort et la destruction sur leur passage. Le film est sombre, tendu, féminin, alors que Ford nous a habitués à une œuvre solaire, décontractée, virile. Mais, à l’instar de L’Homme qui tua Liberty Valance, Frontière chinoise pose des questions essentielles sur la civilisation et la barbarie, l’individu et le groupe, Dieu et la foi. Hors du monde (nous ne quittons jamais l’enceinte de la mission) se joue une épure stylisée du théâtre fordien. Que des femmes assurent la dernière représentation ne change rien aux choses, sinon que cette ultime surprise souligne l’anticonformisme, la haine de l’hypocrisie religieuse, le rejet du puritanisme et de la violence du plus grand cinéaste américain.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}