Victime née. Entre conte de fées perverses et jeu de l’oie blanche, une version réjouissante des malheurs d’une fausse ingénue. Produit par Oliver Stone, Freeway ajoute une pièce supplémentaire au lourd dossier du réalisateur de Tueurs nés sur les maladies de l’Amérique. Après la guerre du Vietnam, les complots politiques, la CIA au Salvador et […]
Victime née. Entre conte de fées perverses et jeu de l’oie blanche, une version réjouissante des malheurs d’une fausse ingénue.
Produit par Oliver Stone, Freeway ajoute une pièce supplémentaire au lourd dossier du réalisateur de Tueurs nés sur les maladies de l’Amérique. Après la guerre du Vietnam, les complots politiques, la CIA au Salvador et les reality-shows, voici venu le tour de la jeunesse défavorisée et de l’injustice sociale. Si l’on frémit d’avance à un tel programme (Stone étant le premier à s’engouffrer complaisamment dans le racolage médiatique qu’il dénonce), Freeway échappe par bonheur à la lourdeur de la démonstration apitoyée en empruntant les sentiers du conte de fées. Freeway est en effet une surprenante transposition moderne du Petit chaperon rouge, dans laquelle Vanessa (Reese Witherspoone, la réponse de l’Amérique à Vanessa Paradis), une lolita des ghettos de Los Angeles, illettrée et sans famille, va traverser un parcours initiatique semé d’embûches terrifiantes (comme dans une version fillette de Conan le barbare, ce scénario « nietzschéen » de Stone période poudre au nez avant la période poudre aux yeux). Tel un jeu de l’oie (blanche) gigantesque , avec des cases prison, prostitution, procès et violences diverses, cette accumulation surréaliste d’offenses à son intégrité physique et morale nous rappelle les infortunes infligées par Sade à la pauvre Justine, victime de tourments toujours plus affreux. Mais dans Freeway, Vanessa n’a plus qu’une moitié d’innocence, et c’est aussi Juliette qu’elle évoque, dans sa capacité d’adaptation et son agressivité face aux monstres qu’elle croise sur son chemin. Parmi eux, on appréciera surtout un grotesque serial-killer (Kiefer Sutherland, presque aussi bon que son père il y a vingt ans), grand méchant loup moderne déguisé en psychologue pour enfants, hantant une autoroute à la recherche de ses proies. A l’instar de Bateman, l’inquiétant tueur en série d’American psycho de Bret Easton Ellis, il s’adonne à ses plaisirs pervers en toute impunité et à l’insu de ses proches, l’argent et la renommée le plaçant au-dessus de la loi. Cette satire des inégalités de la société américaine s’autorise de réjouissants excès cartoonesques dans sa représentation de la violence. Certes, Matthew Bright n’apporte rien de vraiment original par rapport aux films de Tim Burton ou Wes Craven, qui se sont livrés à de véritables expérimentations à partir des formes impures du cinéma commercial et de l’imagerie populaire, mais il réussit avec Freeway une bande dessinée cruelle, aux frontières de la fable et de la réalité la plus sordide, et prouve que les cinéastes américains peuvent encore rêver, et pas seulement faire rêver. C’est bon signe.
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