La plateforme confirme une orientation cinéphile en diffusant douze films de François Truffaut. S’il y a de grands absents (La Sirène du Mississipi, L’Histoire d’Adèle H…), on y trouve notamment le cycle Antoine Doinel ou les adaptations d’Henri-Pierre Roché.
« Un metteur en scène d’aujourd’hui doit accepter que son travail sera éventuellement jugé par quelqu’un qui n’aura jamais vu un film de Murnau », écrivait François Truffaut en 1975 en introduction à son recueil d’articles, Les Films de ma vie. Cela est sûrement plus vrai encore aujourd’hui.
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Peut-être même la critique doit-elle accepter que les films qu’elle commente soient réalisés désormais par des cinéastes qui n’ont pas vu de films de Murnau. Sans que cela ne soit forcément dommageable pour aucune des parties. Est-il déjà advenu le temps où certain·es de ceux·celles qui commentent les films ou qui les font n’ont jamais vu de film de Truffaut ?
Un œil sur le patrimoine
Ce n’est pas certain. Pas encore. Mais, en tout cas, les un·es et les autres n’auront pas pu compter jusque-là sur Netflix, ni pour voir des films de Murnau, ni pour voir ceux de Truffaut, ni, de façon plus générale, pour parfaire leur érudition en matière d’histoire du cinéma.
Longtemps, en effet, Les Affranchis (1990), Pulp Fiction (1994) et Gremlins (1984 !) tenaient lieu d’antiquités cinéphiles dans une programmation ciné bloquée sur le XXIe siècle. Mais la plateforme de streaming semble continuer à réformer sa politique éditoriale. Après s’être ouverte au cinéma d’auteur en matière de production (Roma, Uncut Gems, Marriage Story, The Irishman…), Netflix a désormais un œil sur le patrimoine. Netflix France inaugure cette semaine cette nouvelle politique d’exploration de la mémoire cinéphile avec la mise en ligne, justement, d’une collection Truffaut.
Des vingt et un longs métrages réalisés par François Truffaut, ladite collection en a retenu douze (sans qu’on ne sache si cette sélection relève véritablement d’un choix de programmation ou du hasard des droits et des disponibilités de catalogue). Dans cette bonne moitié d’œuvre, ce sont les années 1970 qui constituent la partie sacrifiée. Aucun des films réalisés par le cinéaste entre 1972 et 1979 ne figure dans la rétrospective (dommage pour la brûlante Histoire d’Adèle H ou le splendide requiem mezzo vocce La Chambre verte).
On trouve en revanche les trois derniers longs métrages réalisés dans les années 1980 : le blockbuster (Le Dernier Métro, unanimement célébré à sa sortie, soupçonné d’académisme et de consensualité fade par la suite, mais que chaque revision confirme comme un des films les plus virtuoses, inspirés et délicieusement lubitschiens de son auteur) ; l’ultra-lyrique et déchirant La Femme d’à côté et le dernier film qui n’a rien d’une grande œuvre testamentaire, le mineur mais très séduisant Vivement dimanche !, adapté d’un roman policier de Charles Williams.
La veine Série noire de Truffaut n’est pas la mieux représentée, car si la collection Netflix comporte aussi son adaptation de David Goodis, Tirez sur le pianiste, les deux merveilleux films tirés de polars de William Irish sont absents, La mariée était en noir et La Sirène du Mississipi. On peut voir en revanche son adaptation du classique de la science-fiction de Ray Bradbury, Fahrenheit 451, et celles des romans d’Henri-Pierre Roché, deux chroniques tourmentées des amours désaccordées et triangulaires (Jules et Jim, puis Les Deux Anglaises et le continent).
Dans cette même veine écorchée, on trouve aussi le poignant La Peau douce. Et enfin, les quatre longs métrages (mais pas le court Antoine et Colette) consacrés à l’itinéraire de son personnage fétiche, Antoine Doinel : Les 400 Coups (1959), Baisers volés (1968), Domicile conjugal (1970) et L’Amour en fuite (1979).
Antoine Doinel, éternel adulescent
En reparcourant la saga Antoine Doinel, on s’étonne une fois encore de l’inattendue descendance des 400 Coups. La fermeté de ton, la dureté du regard posé sur une société entièrement organisée autour de la répression de ce premier film décapé de toute forme de sentimentalité ou de nostalgie dans sa représentation de l’adolescence sont intactes, absolument inentamées. Rien n’anticipait donc que le bouleversant Antoine Doinel devienne un personnage de comédie.
Si, dans Baisers volés, Antoine sort de prison (lien direct avec le centre dont il s’évade à la fin des 400 Coups), l’enfant blessé et inadapté est devenu au contraire un adulte bohème plutôt très adapté à une société en mouvement, dont les contours rigides s’estompent au profit d’une fluidité généralisée.
Léaud lui-même ne se ressemble plus tout à fait. Le petit garçon costaud et assez masculin est devenu étonnamment fluet, fascinant d’androgynie et de versatilité. Même sa gouaille s’est teintée d’une drolatique atonalité.
Au fil des films, le petit garçon qui s’arrachait avec la plus grande difficulté à la pesanteur dans la fameuse scène de manège des 400 Coups devient de plus en plus flottant, fantasque, volatile, ne donnant prise à rien, pas même au temps, qui passe mais ne le transforme plus vraiment. Le petit garçon précocement arraché à l’enfance pour être jeté dans la violence du monde est paradoxalement devenu un éternel adulescent, et c’est finalement ailleurs que Truffaut aura filmé la prise d’âge de Jean-Pierre Léaud.
https://www.youtube.com/watch?v=oDEfsnrpJAk
Dans les deux heures dix (condensant une vingtaine d’années de fiction) des Deux Anglaises et le continent, Léaud atteint à une profondeur et une densité d’expérience inouïes – dans un film qui s’affirme comme un sommet absolu de l’œuvre de Truffaut, et on se réjouit que Netflix lui confère une large exposition.
Après Truffaut, la plateforme poursuivra son incursion cinéphile avec des rétrospectives Demy (début mai), Lynch (mi-mai), Chaplin, Kieslowski et Dolan. Allez, bientôt Murnau ?
Collection Truffaut Sur Netflix le 24 avril
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