L’époque est propice à redécouvrir les films de Frank Capra, cinéaste américain dont l’oeuvre se déploie des années 30 au tout début des années 60. Il était le pourfendeur des puissants, défenseur des citoyens ordinaires, inlassable hérault de la démocratie. Il donna à James Stewart certains de ses plus beaux rôles, dont l’inoubliable « Mr Smith au sénat » ou « La vie est belle ». Top 10 à l’occasion d’une rétrospective de son oeuvre à la Cinémathèque.
A l’heure où les populistes ont le vent en poupe, où un milliardaire vulgaire et sans scrupule devient président des Etats-Unis, où la notion de démocratie vacille sous les effets combinés de la globalisation, du libéralisme et de la technologie, il devient plus pertinent que jamais de revoir les films de Frank Capra, non seulement pour leurs qualités intrinsèques de récit, de comédie et de direction d’acteurs, mais aussi pour leur récurrent parti-pris pour les faibles face aux puissants, leur beau souci de l’intérêt général face aux intérêts particuliers des dominants. Toutes les questions sociales et politiques que l’on se pose aujourd’hui (sur les injustices économiques, sur le peuple, sur la prédation des puissants, sur le fonctionnement de la démocratie…) furent abordées par Capra par le biais de grandes fictions populaires. Retour sur sa filmo abondante en dix étapes.
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La Blonde platine (1931)
Un reporter et une riche héritière tombent amoureux. Si ce film est avant tout une screwball comédie, le thème des barrières entre classes sociales est déjà présent. Capra et son actrice Jean Harlow définissent ici le mythe de la « blonde platine », machine à fantasmes hollywoodienne qui sera ensuite incarnée par Marilyn Monroe, Jane Mansfield, Kim Novak ou même par la rousse Rita Hayworth.
La Grande dame d’un jour (1933)
Une clocharde fait croire à sa fille élevée loin d’elle qu’elle est une femme de la haute. Ressort classique de la comédie, le travestissement, la méprise, le quiproquo, le jeu sur les apparences sont ici replacé dans un contexte politique, celui des classes sociales, des écarts de richesse et de la honte d’être pauvre. A noter que ce film sera l’objet d’un remake en 61 par Capra lui-même.
New York Miami (1934)
Un des films étalons-or de la screwball comedy, soit la comédie loufoque qui fait vaciller les normes sociales et morales. Ici, une fille de milliardaire rencontre un journaliste au chômage. Au début, ils se détestent, puis au fil d’un voyage bourré de péripéties, ils s’aimeront. Le film est plein de fantaisie, de surprises et les dialogues filent à cent à l’heure.
L’Extravagant Mr Deeds (1936)
Un homme un peu simplet, un peu candide (c’est Gary Cooper) doit se rendre à NY pour toucher un héritage. Il y affronte des avocats et des journalistes pas très honnêtes qui convoitent son magot. L’éternel combat entre les simples et les puissants, les honnêtes et les cyniques, les provinciaux et les urbains, ce qu’on traduirait aujourd’hui par le peuple contre les élites.
Les Horizons perdus (1937)
Suite à un accident d’avion, un diplomate anglais et quelques survivants trouvent refuge dans une vallée des montagnes tibétaines. Ils y découvrent une micro-société où règnent harmonie et bonheur. Un Capra singulier qui délaisse la comédie pour le film d’aventures tout en restant fidèle à son utopie d’une société moins injuste et moins conflictuelle.
Vous ne l’emporterez pas avec vous (1938)
Un promoteur cupide (pléonasme) veut exproprier les habitants d’un quartier dont une famille fantasque. Or, le fils du promoteur est amoureux de la petite fille de la dite famille. Comme souvent Capra croise donc sentiments, intérêts économiques et classes sociales, déployant une grande virtuosité dans l’écheveau d’intrigues et situations, et dans son portrait d’une famille farfelue aussi touchante qu’hilarante.
Monsieur Smith au Sénat (1939)
Capra reprend son opposition entre la candeur et le cynisme en l’inscrivant cette fois directement dans le milieu politique. Le monsieur Smith (James Stewart) est un jeune homme idéaliste, naïf, politiquement inexpérimenté, qui devient sénateur. Alors qu’il défend un projet social de colonie de vacances, il se heurte à un autre sénateur roué qui projette la construction d’un barrage au même endroit, projet beaucoup plus juteux financièrement. Leur opposition culmine par un discours fleuve de Smith, qui monopolise la parole jusqu’à épuisement pour faire obstacle aux manoeuvres de son adversaire, défendant les fondamentaux de la Constitution américaine et ses idéaux de liberté et de démocratie. Un film à passer en boucle à Donald Trump et à ses supporters.
L’Homme de la rue (1941)
Pour se venger de son patron, une journaliste écrit un article bidon sur un chômeur qui menacerait de se suicider le soir de noël par désespoir de ne pas trouver d’emploi. L’affaire s’emballe si bien que le journal se voit obligé d’engager un quidam (Gary Cooper, qui lui n’est pas n’importe qui) pour jouer le rôle inventé par l’article. Avec sa virtuosité coutumière dans le tressage de thèmes, par Capra évoque toujours ce lien conflictuel entre détenteurs de pouvoir et gens ordinaires, l’avidité de scoops de la presse qui va jusqu’à en inventer, la concurrence féroce entre journaux. En 1941, le cinéaste parlait donc du clivage peuple-élites, de fake news et de post-vérité. Etait-il ultra visionnaire ou bien est-ce l’histoire qui se répète inlassablement ? Un peu les deux probablement.
Arsenic et vieilles dentelles (1944)
Sous ses dehors de comédie joviale, un film plus subversif qu’il en a l’air puisque ses héroïnes sont deux vieilles dames empoisonneuses. Briser le cliché des vieillards vertueux et traiter avec empathie un binôme criminel, ça mérite bien le qualificatif de transgressif. Arsenic et vieilles dentelles démontre aussi l’art de Capra : ça commence tout doux, au diesel, puis les personnages, les croisements de situation et les quiproquos s’enchaînent, produisant une montée comique par accumulation où les gags s’empilent jusqu’à la folie totale. A la fin, on est lessivé de rire et abasourdi par la puissance de loufoquerie et l’humour morbide du cinéaste.
La Vie est belle (1946)
Acculé par les soucis financiers, un brave citoyen est sur le point de se suicider à noël (comme le personnage inventé de L’Homme de la rue – Capra avait de la suite dans les idées). A ce moment précis, il est sauvé par son ange gardien qui lui rappelle par un long flashback tout ce qu’il a fait de bien dans sa vie et qu’il n’aurait pu réaliser s’il s’était donné la mort. Ce conte de noël pour petits et grands est l’archétype du feelgood movie, le film sans doute le plus célèbre de Capra, celui que de nombreux américains aiment justement revoir à noël. On peut préférer le Capra loufoque de Vous ne l’emporterez pas avec vous ou d’Arsenic et vieilles dentelles, ou celui plus politique de Mr Deeds ou Monsieur Smith, mais il faut bien admettre que le cinéaste est très fort pour représenter le bien et qu’il est ici magnifiquement épaulé par l’un de ses acteurs fétiches, l’immense James Stewart, incarnation de l’honnêteté et du bon sens rooseveltiens que prônait Capra.
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