Un drôle de collage entre le soap et le marivaudage rohmérien par le prometteur Benjamin Crotty.
Bien connu des réseaux festivaliers européens, l’Américain Benjamin Crotty s’est surtout fait un nom en duo avec son pote et partenaire particulier Gabriel Abrantes. Passés sur les bancs du Fresnoy (le Studio national des arts contemporains), ils ont signé une série de films courts, petits instantanés pop et chic à la frontière entre les installations contemporaines, l’art vidéo et la culture populaire la plus ingrate, parmi lesquels le superbe Visionary Iraq, expérience warholienne de parasitage du glamour hollywoodien qui importait le conflit irakien à l’intérieur d’un minuscule studio.
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Aujourd’hui, seul aux commandes de son premier long métrage, Fort Buchanan, Benjamin Crotty reste parfaitement fidèle à la ligne qu’il s’est fixée avec Abrantes, qui consiste en une tentative singulière et entêtée d’hybrider les formes et les genres, de mêler le pur et l’impur dans un flamboiement d’images postmodernes et queer à l’effet de séduction immédiat.
Dès la première séquence, nous voilà donc propulsés dans un monde aux contours flous, une sorte de vraie-fausse base militaire américaine bricolée avec trois bouts de ficelle dans une forêt de la Meuse. Ici vit une communauté d’hommes et de femmes de soldats, dont Roger (Andy Gillet, éternel Tadzio blond des Amours d’Astrée et de Céladon d’Eric Rohmer), qui angoisse en attendant le retour du front de son époux missionnaire, Franck (David Baiot, vu dans la série Plus belle la vie).
Choc de la langue, des corps, des genres et des styles
Croiser un acteur rohmérien et une star de sitcom diffusée sur France 3, c’est le premier choc d’un film qui ne procède que par effets de rupture et collisions délirantes : choc de la langue – qui passe d’une sophistication littéraire à une naïveté de soap parodique – ; choc des corps et des genres sexuels – le film imagine un univers où tout le monde s’aime et baise dans une indifférenciation totale –, et choc des styles enfin – le huis clos intimiste alterne avec le film d’aventures miniature, façon Apocalypse Now suédé.
Ce goût du collage n’est, bien sûr, pas toujours très opérant, et plusieurs fois le film menace de s’effondrer dans l’exercice théorique un peu gadget, mais son imaginaire débridé et son inventivité plastique font de Fort Buchanan un objet hors norme et attachant, sorte de manifeste pour un cinéma de tête chercheuse. Un cinéma assez bordélique et azimuté pour être pris au sérieux.
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