Pendant longtemps, Ford a été considéré comme le réalisateur de grands classiques d’avant-guerre (Le Mouchard, La Patrouille perdue, Les Raisins de la colère) et l’inventeur d’un prototype du western (La Chevauchée fantastique) avant de perdre ultérieurement son inspiration dans des oeuvres jugées simplistes et insignifiantes. A cette conception, disons académique, a succédé, avec la conscience […]
Pendant longtemps, Ford a été considéré comme le réalisateur de grands classiques d’avant-guerre (Le Mouchard, La Patrouille perdue, Les Raisins de la colère) et l’inventeur d’un prototype du western (La Chevauchée fantastique) avant de perdre ultérieurement son inspiration dans des oeuvres jugées simplistes et insignifiantes. A cette conception, disons académique, a succédé, avec la conscience d’un affinement pessimiste de sa pensée, une réhabilitation de la maturité et de la vieillesse du cinéaste ? et l’éloge de films comme La Prisonnière du désert, L’Homme qui tua Liberty Valance, Frontière chinoise. Aujourd’hui fort répandue, cette opinion a tendance à oublier les trente premières années de l’oeuvre, autre forme d’incompréhension. C’est que le cinéma fordien ne se comprend pas forcément à la lumière d’une histoire linéaire, d’une dialectique où le moderne succéderait à l’ancien, où le primitif cèderait la place à la sophistication. Si l’oeuvre a toujours conservé des éléments en droite ligne du cinéma muet, elle a également intégré, très tôt, des formes singulières, atypiques, dérangeantes, au terme parfois de violentes et désormais légendaires batailles avec les producteurs.
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Le cinéma de Ford est déjà dans les années 30 d’une incroyable complexité. Constante interrogation sur les liens entre l’Histoire et l’idéologie, entre l’individu et la communauté, il n’exprime pas encore ouvertement le pessimisme qui imprègnera sa production d’avant-guerre, marquée à jamais par les catastrophes du siècle, mais parvient à concilier exaltation élégiaque et lucidité critique. S’il y avait une manière de relier ces trois films ensemble, ce serait la façon dont ils décrivent comment les significations imaginaires jouent un rôle fondamental, comment le passé légendaire est devenu un carburant essentiel des actions humaines. Mais au-delà d’une approche thématique, il faut voir plusieurs fois les films pour constater à quel point Ford est un cinéaste à la fois contemplatif et pressé, réaliste et théâtral. L’espace est traité pour sa valeur de composition symbolique et son aspect concret, et ce dans le même temps. Un fleuve peut être à la fois le symbole d’un retrait de la société (la fin de Steamboat) et, en profondeur de champ, celui de l’Histoire en marche (Young Mister Lincoln), le passé et le présent dans le même film en fonction des séquences (Young Mister Lincoln). Les personnages conjuguent la raideur de la représentation légendaire et l’humanité. Il faudrait étudier les diverses postures des héros et la complexité de leur signification (être couché, assis par terre, debout) et voir enfin comment Ford se paie une séquence incroyablement hétérodoxe par rapport aux conventions hollywoodiennes lorsqu’il filme longuement un personnage de dos, en proie à une détresse profonde que le parti pris de la mise en scène accentue.
Ford Fiesta, article complet de Jean-François Rauger dans Les Inrockuptibles Hebdo n°127.
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