Plus minéral que jamais, Ryan Gosling campe un Neil Armstrong habité par sa vocation. Damien Chazelle, lui, à rebours de sa fluidité habituelle, filme la confrontation entre hommes et machines comme une expérience chaotique.
Tant pis pour le suspense : à la fin, ils alunissent. “Ils”, ce sont Buzz Aldrin et surtout Neil Armstrong, “le premier homme à avoir marché sur la Lune”, dont Damien Chazelle raconte ici l’épopée dans un biopic s’étalant sur une petite dizaine d’années, des premiers vols supersoniques à l’ultime exploit, retransmis en direct à la télévision le 20 juillet 1969, en passant par les discours galvanisants de JFK, la concurrence acharnée des Soviétiques et l’agitation politique des sixties.
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C’est la première fois que Damien Chazelle, en quatre longs métrages, s’intéresse à autre chose qu’à des artistes. Les musiciens (ou actrice) de Guy and Madeleine on a Park Bench, Whiplash, ou La La Land, partageaient la même quête : celle de l’accomplissement professionnel, au détriment de l’épanouissement intime. Or c’est encore cette même logique perfectionniste que le cinéaste décèle chez Neil Armstrong – ou choisit de déceler, à partir d’une biographie de James R. Hansen, adaptée par Nicole Perlman et Josh Singer (scénariste roué de Spotlight et The Post).
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Une logique résumée par les deux premières séquences, mettant côte à côte les deux pôles d’attraction du héros : son travail, sa famille. On découvre d’abord le pilote dans le cockpit d’un avion, tentant pour la première fois de s’élever dans la mésosphère. La scène est proprement sidérante, particulièrement si vous avez la chance de la voir en iMax, et pose les bases formelles du film, tout en cabosses et tremblements, assez éloignées du style fluide qui caractérisait jusqu’ici Chazelle ; comme s’il était passé de la jam session au concert de noisy rock.
Deuxième scène : on est à l’hôpital, au chevet de la petite fille de Neil Armstrong, elle aussi dans une machinerie infernale, censée la sauver d’une maladie grave. En vain. Cette mort prématurée justifiera la vocation du héros, par un ressort mélodramatique quelque peu usé et conventionnel, qui n’est pas ce que le film réussit le mieux.
Face au monstre de travail et de froideur que compose Ryan Gosling, acteur minéral s’il en est, toujours parfait lorsqu’il s’agit de ne rien faire, son épouse est quelque peu en retrait, prisonnière du cliché de la femme d’astronaute inquiète, image à laquelle la valeureuse Claire Foy (The Crown, Paranoïa) donne cependant tout le relief possible. Mais c’est ailleurs que le film se démarque. Contrairement à Nolan (Interstellar) ou à Cuarón (Gravity) qui utilisaient l’iMax pour donner à voir de vastes scènes d’ensemble, gorgées de détails, Chazelle fait le choix contre-intuitif de tout filmer caméra à l’épaule, très proche des visages et des corps mis à rude épreuve (incroyable scène de centrifugeuse, quasi brakhagienne), dans un 35 mm granuleux et impressionniste. Son attention porte moins sur la technicité des machines que sur leurs effets concrets, essentiellement destructeurs, sur l’homme. Et lorsqu’enfin l’objectif (Lune) est atteint, celui-ci sonne comme une délivrance, une apothéose où le cinéaste, libéré de la pesanteur, s’autorise tout ce qu’il ne s’était pas permis jusqu’ici : le silence et la grâce, mêlés dans un somptueux ballet mélancolique. Avant la redescente…
First Man de Damien Chazelle (E.-U., 2018, 2 h 22)
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