Fiona est un beau film à risque sans garde-fou romanesque avec situations limites, entre fiction et documentaire. On a découvert Amos Kollek l’année dernière avec Sue perdue dans Manhattan, succès critique et public inattendu, mélo idéal de cette fin de siècle. Pourtant, comme son actrice Anna Thomson, promue instantanément nouvelle icône glamour-trash, le romancier-cinéaste de […]
Fiona est un beau film à risque sans garde-fou romanesque avec situations limites, entre fiction et documentaire. On a découvert Amos Kollek l’année dernière avec Sue perdue dans Manhattan, succès critique et public inattendu, mélo idéal de cette fin de siècle. Pourtant, comme son actrice Anna Thomson, promue instantanément nouvelle icône glamour-trash, le romancier-cinéaste de 52 ans avait déjà à son actif cinq livres et six longs métrages, dont Forever Lulu (1987) avec Hanna Schygulla et Debbie Harry.
Ceux qui s’attendent à un deuxième Sue risquent de déchanter. Bien que les ingrédients en soient pratiquement les mêmes New York, Anna Thomson, le sexe, la déchéance , Fiona est une oeuvre infiniment plus risquée, constamment sur la corde raide, mixant documentaire et fiction, avec un substrat romanesque relégué en voix off. En fait, c’est presque un remake de Bad girls (1994), inédit de Kollek sur les prostituées d’Hell’s Kitchen.
Ici, le cinéaste est parti de scènes documentaires tournées avec de vraies putes junks de Manhattan des scènes qui, à l’origine, devaient servir de base à une fiction interprétée par des actrices. Finalement, Kollek a décidé de conserver ces fragments de réel dans le film et a poursuivi le tournage en y intégrant Anna Thomson en cours de route. D’où cette forme heurtée, hétérogène, ces nombreux blocs narratifs présentés comme des petits chapitres. Caméra portée, montage cru, scènes et situations limites.
Un film nu, sans fioritures, qui démarre sec, avec, très vite, une scène soufflante de réalisme. Fiona (A. Thomson), prostituée droguée au lourd passif, et son amie font des passes dans leur piaule. Un micheton devient menaçant, jusqu’à planter un couteau dans le ventre de l’amie de Fiona. Ceci n’étant que le début d’une litanie de paroxysmes drogue, sexe, suicide et violence qui émaillent la trajectoire amorale de Fiona.
Même si la crudité du tableau est étayée par un arrière-plan assez mélodramatique l’abandon de Fiona dans son enfance, puis ses retrouvailles tragiques avec sa mère, également pute et camée , on reste perplexe devant une accumulation de malheurs aussi exhaustive. Distant, n’appuyant jamais sur le pathos intrinsèque à ces situations, le cinéaste nous emmène au fond de la déchéance humaine. Cinéma vérité ? Il y a de la cruauté dans le regard du cinéaste sur ces personnages, dans certains de ses titres de chapitres.
Mais d’un autre côté, on trouve de la chaleur humaine au sein de ce cloaque existentiel, de la tendresse dans cette crackhouse où survivent ces apocalyptiques filles de joie. Fiona devient une soeur pour ces zombies, presque une mère. Très beau moment : celui où elle fait la toilette de la femme la plus ravagée du groupe.
A l’inverse, les scènes d’extérieur jouent sur les clichés du polar. Fiona devient un clone décavé de Bonnie Parker. Plan quasi burlesque dans un coffee-shop où elle tient en respect avec son flingue un allumé qui la menace à son tour, avant de dégommer comme des lapins les flics venus les arrêter. Final romantique : la fuite vers l’Ouest dans une auto de star hollywoodienne…
Fiona est décidément un drôle d’objet inclassable. Les fans de Sue seront peut-être déroutés par cette nouvelle incarnation d’Anna Thomson, un brin refroidissante. Mais on ne louera jamais assez Amos Kollek d’avoir pris des risques aussi inconsidérés pour ne pas tomber dans une routine confortable.