Un adolescent découvre l’identité de son père, un éditeur cynique. Une farce moqueuse sur les élites culturelles.
Mine de rien, discrètement, sans faire beaucoup de vagues, Eugène Green persiste et signe. Le Fils de Joseph est son sixième film, ce qui commence à faire “œuvre” (sans compter les essais, romans et pièces de l’auteur).
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On y retrouve tous les éléments de son univers cinématographique si singulier : la langue française précise, la diction blanche et marquant les liaisons, les cadrages frontaux (façon Ozu), les plans épurés comme des tableaux Renaissance (façon Bresson), une stylisation antinaturaliste, des récits contemporains tout aussi épurés que les plans et baignés dans l’histoire de l’art, de la littérature et des mythes…
Et aussi beaucoup d’humour. Eugène Green est un érudit facétieux, un médiéviste sérieux qui ne se prendrait pas trop au sérieux, un professeur qui aurait le souci de transmettre plutôt que d’intimider.
Savoureuse ironie
Ici, l’histoire est celle de Vincent, adolescent mélancolique élevé par sa mère, qui refuse obstinément de lui révéler l’identité de son père. Vincent mène lui-même l’enquête sur ses origines et découvre que son géniteur est un éditeur en vue, homme de pouvoir cynique et suffisant. Il le surprend dans son bureau en train de coucher avec son assistante, scène banale rendue neuve par la mise en scène purement chorégraphique et désaffectée de Green.
Le cinéaste en profite aussi pour croquer le milieu littéraire avec une ironie savoureuse, notamment lors d’une hilarante séquence de cocktail pour la remise du prix Conlong, mélange de mondanités, de fatuité et de “desperatly would be” comme on dit dans la langue de la “barbarie”.
Entre Bresson et Tati
Alors que Vincent ourdit une vengeance contre ce père indigne qui l’a abandonné, il fait la connaissance de son oncle (le frère du père), qui est humainement l’inverse : un homme désargenté, bon, honnête, généreux. Vincent devra ainsi faire ses choix entre le bien et le mal, la vengeance et le pardon.
Bien que modelés par le système Green, les acteurs s’en sortent admirablement : le jeune Victor Ezenfis incarne l’innocence blessée, Natacha Régnier est la pureté maternelle, Mathieu Amalric fait un parfait séducteur diabolique, Fabrizio Rongione est une figure de la bonté alors que Maria de Medeiros est géniale en critique littéraire aussi snob qu’ignorante. Ils contribuent à faire de ce film un conte initiatique qui allie la beauté d’un Bresson au sourire farceur d’un Luc Moullet ou d’un Tati.
Le Fils de Joseph d’Eugène Green (Fr., Bel., 2016, 1 h 55)
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