A l’occasion de la sortie du film de Damien Chazelle avec Ryan Gosling et Emma Stone, immersion dans la comédie musicale classique hollywoodienne à la rencontre des modèles de « La La Land ». Ou l’on retrouve un des genres les plus puissamment poétiques de toute l’histoire du cinéma.
Si l’on s’en tient à l’évidence, la comédie musicale naît au cinéma avec le parlant. Le chanteur de jazz, réalisé par Alan Crosland en 1927, considéré comme le premier film du parlant (même s’il ne l’était que partiellement), est une comédie musicale.
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Mais l’on pourrait aussi soutenir la thèse certes assez paradoxale selon laquelle la comédie musicale a toujours existé au cinéma. Car on trouve, dès le cinéma primitif, et notamment chez Méliès, des scènes chantées et dansées (notamment dans Le voyage dans la Lune, en 1902), accompagnées pendant la projection par un ou des musiciens.
La comédie musicale américaine vient bien sûr du music-hall, du burlesque, de l’opérette. Assez étrangement, la mise en abyme est l’une des spécialités de la comédie musicale : beaucoup d’entre elles racontent l’histoire d’artistes de music-hall qui peinent à monter une comédie musicale. Les scènes de répétitions de ce spectacle permettent de répartir élégamment les différents numéros tout le long du récit, et de les alterner avec des scènes comiques ou romantiques.
Petit à petit, la comédie musicale va sortir des théâtres pour se jouer dans la rue (de studio la plupart de temps…). Les danseurs dansent sur les trottoirs mouillés, les chanteurs s’époumonent au bord d’un fleuve (de carton-pâte ou pas).
Chercheuses d’or de Busby Burkeley (1933) :
Née juste avant la Grande Dépression de 1929, la comédie musicale hollywoodienne la met en scène en tentant de rendre joyeux ce qui ne l’est pas. Volontairement ou non, le succès du spectacle mis en scène dans le film métaphorise la reprise économique, tente de donner de l’énergie et de l’espoir à la Nation et au spectateur touchés gravement par la Crise.
Busby Berkeley est LE grand créateur de la comédie musicale des années 30. A la fois chorégraphe et réalisateur, il invente tous les codes visuels du genre, comme ces angles de prises de vue surprenants qui permettent de créer des figures géométriques et abstraites avec le corps des danseurs. Ses décors sont flamboyants, il aime les foules, mêler le réel et l’imaginaire, les scènes tournées sur un vrai plateau de théâtre et les scènes tournées dans de vastes studios. Chercheuses d’or raconte l’histoire de quelques jeunes danseuses sans travail et sans le sou à la recherche d’un spectacle où trouver un cachet…
Un Américain à Paris de Vincente Minnelli (1951) :
L’histoire d’amour entre une petite fille riche (Leslie Caron) et un peintre américain installé à Montmartre (Gene Kelly). Le film, rythmé par l’agencement de différents morceaux écrits par George Gershwin, est célèbre pour la scène de rêve, le long ballet quasi-final où Gene Kelly et Caron dansent dans le Paris des tableaux de Dufy, Auguste Renoir, Utrillo, le douanier Rousseau, Van Gogh et Toulouse-Lautrec. La comédie musicale, art mineur, s’empare de l’un des beaux-arts.
Interlude :
Un ballet nautique de la grande Esther Williams, star de la nage synchronisée dans L’école des sirènes (1944) :
Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly (1952) :
Peut-être la comédie musicale classique la plus célèbre. Cette fois-ci, c’est le cinéma lui-même et le passage du muet au parlant qui occupe le devant de la scène. Comme souvent dans la comédie musicale, deux sortes de chants ou de danses cohabitent : celles où les personnages exercent leur métier (jouer, danser, chanter) et celles où ils expriment leurs sentiments en dansant et en chantant. La comédie musicale au cinéma est un genre très sophistiqué. C’est un méta-langage sur le cinéma.
Tous en scène de Vincente Minnelli (1953) :Un danseur sur le retour (Fred Astaire, quand même) est pressenti pour rejouer dans une comédie musicale. Mais rien ne va : le metteur en scène se la joue moderniste, et la partenaire d’Astaire (Cyd Charisse) est imbuvable et vient de la danse classique. Tout s’arrangera bien évidemment. Minnelli s’amuse cette fois-ci – sur ce scénario d’école… – à parodier la comédie musicale, en en pervertissant tous les poncifs. Tout en réalisant bel et bien une vraie comédie musicale.
La parade dansée à Central Park entre Astaire et Charisse est une métaphore à peine voilée du rapport sexuel (et un des plus beaux moments de cinéma ever). Avec pour pic final un plan en plongée sur les deux visages en plongée des danseurs qui s’affalent sur le siège d’une calèche dans un délassement de tout le corps post-coït. La scène a par ailleurs très nettement inspiré le pas de deux sur Mulholland Drive entre Gosling et Stone dans La La Land.
Les hommes préfèrent les blondes d’Howard Hawks (1953) :
Deux amies danseuses de revue : une blonde (Marilyn Monroe) sur le point de se marier avec un milliardaire (Diamonds are a girl’s best friend), la brune (Jane Russell). Hawks met les pieds dans le plat : celui du sexe et de l’argent. Finit les grands serments d’amour : Les hommes préfèrent les blondes sort définitivement la comédie musicale de la romance.
Le Milliardaire de George Cukor (1960) :
Un playboy milliardaire (Yves Montand) apprend qu’une comédie musicale racontant sa vie est en train de se monter. Venu observer les répétitions, il est pris pour l’un des artistes du spectacle. Il joue le jeu. Il faut dire que la chanteuse et danseuse vedette (Marilyn Monroe) est assez craquante, surtout quand elle entonne My heart belongs ton Daddy… Mais le milliardaire est bien évidemment incapable d’être à la fois drôle, bon danseur et chanteur. Alors il prend des cours avec Milton Berle (comique célèbre), Bing Crosby (chanteur) et Gene Kelly (pour la danse), dans leur propre rôle pour se mettre à niveau… De plus en plus sophistiquée, la comédie musicale atteint là l’un de ses sommets, en intégrant dans le film de véritables stars de la comédie musicale sous leur propre nom. Le milliardaire ne peut trouver l’amour qu’en changeant identité. Qui est qui ? Le réel et l’imaginaire se fondent.
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