Corée âme. Panorama de l’excellent cinéma coréen, ce cousin trop peu connu des cinématographies chinoises et japonaises, avec une découverte fulgurante : le cinéaste Hong Sang-Soo. Ce programme de six inédits vient à point nommé pour démontrer : 1. Que le cinéma coréen, loin d’être compassé, exhibe une santé et une inventivité insolentes. 2. Que […]
Corée âme. Panorama de l’excellent cinéma coréen, ce cousin trop peu connu des cinématographies chinoises et japonaises, avec une découverte fulgurante : le cinéaste Hong Sang-Soo.
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Ce programme de six inédits vient à point nommé pour démontrer : 1. Que le cinéma coréen, loin d’être compassé, exhibe une santé et une inventivité insolentes. 2. Que Hong Sang-Soo, 38 ans, est un grand cinéaste. Mais d’abord, un retour sur le passé avec le seul film ancien de ce panorama, Le Cocher de Kang Taejin (1961). Un curieux objet, à vrai dire, qui, tourné au moment où la Nouvelle Vague japonaise apparaissait, est plus proche par sa facture archaïque des mélodrames sociaux du cinéma muet. Le film ressemble au personnage principal, un pauvre charretier, noyé dans les problèmes financiers et familiaux. Le tableau d’ensemble est assez accablant, plus proche de Zola que de Griffith. Mais la famille a beau frôler le désastre, le film ne manque pas de truculence quand il expose comment le charretier et ses enfants dissimulent leurs activités plus ou moins coupables. Sans doute faut-il voir dans le spectacle de la misère de cette famille une métaphore de la Corée, exsangue après sa guerre civile et humiliée par ses plus riches voisins (le Japon). L’art de la métaphore est plus flagrant dans Notre héros défiguré (1992) de Park Chong-Won, où les rapports de classe, au sens scolaire, illustrent les dérives de l’autocratie et de la dictature. Ce classique récit de formation raconte comment, dans une école où règne une discipline militaire, un adolescent se trouve en butte à la loi implacable du délégué de sa classe. Le héros passera graduellement de l’opposition à la passivité, puis à l’acceptation des règles iniques. Mais bien que les interprètes soient attachants, on n’est pas loin de l’académisme. Plus passionnante est la manière dont Funérailles (1996) de Park Chong-Won confronte la modernité à la tradition. On assiste à une vaste réunion familiale chez des paysans cossus après la mort d’un patriarche. Saisissante description ethnographique de rites funéraires d’un raffinement presque digne des anciens Egyptiens. L’enterrement, qui dure au moins cinq jours, est prétexte à des beuveries, ripailles, et surtout à des règlements de comptes familiaux à la Festen, mais en moins radical. Ces Funérailles sont pétulantes, mais un peu ternies par des inserts oniriques et des flash-backs explicatifs.
Avec Le Jour où le porc est tombé dans le puits (1996), on s’attend à une oeuvre rurale dans la veine de Funérailles. Il n’en est rien. Le titre - qui signifie : le jour où tout est allé de travers - n’est qu’une des bizarreries du premier film surprenant de Hong Sang-Soo sur la vie pas très joyeuse d’un jeune romancier démuni. Au début, l’histoire, les personnages, leur vie semblent banals. Mais à chaque palier, le film nous désarçonne un peu plus. On pense à Tsai Ming-liang ou Hou Hsiao-hsien, en moins stylisé, moins esthète. C’est justement là où Sang-Soo dépasse ses collègues taïwanais : sa mise en scène, discrétissime, voire absconse, ne fait jamais l’étalage d’une quelconque maîtrise. Sa caméra révèle telle ou telle situation comme par accident. Autre singularité : la construction. Divisé en quatre parties, le film suit successivement quatre personnages : le romancier, Hyo-Sup, être médiocre et querelleur, qui atterrit en prison ; un jeune cadre, Dongwoo ; Minjae, caissière de cinéma amoureuse de Hyo-Sup ; et Bo-Kyung, femme du cadre et maîtresse de l’écrivain. Contrairement au procédé célèbre de Rashomon, les différents épisodes ne donnent pas plusieurs points de vue sur la même histoire. Ils ne réitèrent pas le récit, mais le poursuivent dans la sphère particulière de chaque protagoniste ; ces passages de relais en cours de route exprimant le caractère foncièrement inconciliable des destinées individuelles. Pendant que Bo-Kyung tambourine à sa porte, Hyo-Sup gît chez lui dans un bain de sang.
Bo-Kyung rentre chez elle sans savoir. Tous les éléments d’un drame sont présents, mais disjoints, indifférents. Au spectateur de faire son cinéma. Ce film parallactique (du mot parallaxe) à côté duquel l’oeuvre d’Antonioni paraît balourde et explicative est la forme la plus avancée du cinéma de fiction actuel.
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