Le cinéma du réel vient de terminer sa semaine au Centre Georges Pompidou. Un festival qui, bon an mal an, tient ses promesses et donne à voir ce qui nous est le plus proche et nous échappe souvent : la réalité. Petite géographie portative d’un cinéma qui ne se regarde pas le nombril. Passer dans […]
Le cinéma du réel vient de terminer sa semaine au Centre Georges Pompidou. Un festival qui, bon an mal an, tient ses promesses et donne à voir ce qui nous est le plus proche et nous échappe souvent : la réalité. Petite géographie portative d’un cinéma qui ne se regarde pas le nombril.
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Passer dans le domaine du réel, c’est entrer dans un autre monde. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, quand le Festival du réel ouvre ses portes à ses nombreux spectateurs, c’est une manière de vous inviter à un voyage universel les films prennent leur source au pied du XIIIe arrondissement de Paris ou au fin fond du désert du Kazakhstan , sans pour autant déplacer vos guêtres au-delà des limites du Centre Georges Pompidou, lieu de diffusion du réel. Parler de délimitation entre le documentaire (seul objet identifiable tout au long du Festival du réel) et la fiction (ce qui n’est pas là et que l’on peut manipuler), c’est avant tout tenter de percevoir la lisière qui sépare les deux. A Beaubourg, il y a un parcours du combattant à respecter, tel un franc-tireur qui passerait de nuit la frontière ralliant le Luxembourg à la Belgique en empruntant des sentiers sinueux et courbes. Les risques ne sont pas moindres. Deux blazers bleu marine pantalons gris constituent le premier contrôle, celui qui vous permet d’accéder à l’arène du réel. Débarrassé des faux douaniers, il faut encore trouver la bonne file : se retrouver la face collée à un Mondrian avec pour fond sonore des éclats d’obus ou des cris de jouissance, c’est déjà être au musée d’Art moderne du Centre Pompidou et donc, se tromper de situation. L’astuce est qu’il n’y a aucune file pour accéder au Festival du réel. Il ne faut pas monter vers les différentes hauteurs du Centre mais descendre au parking du sous-sol : c’est là que l’on gare les films documentaires. La frontière entre les deux genres cinématographiques prend certainement pied ici : on élève la fiction et l’on a trop souvent tendance à mettre au rebut le documentaire. Preuve est que pour parvenir à ses fins (voir un film documentaire), il faut réellement emprunter les dédales d’une fiction. C’est peut-être quand les deux genres se mélangent que la cuisine prend une saveur toute particulière.
Scastje (Paradis) est le premier film de Sergej Dvorcevoj, un cinéaste venu tout droit du Kazakhstan. En quelques plans-séquences, Dvorcevoj montre le quotidien d’une famille de nomades. La mère fait la tambouille sur fond de désert, le fils de 2 ans égrène son repas du riz sur son visage puis s’endort brutalement, une vache vient lapper de l’eau dans une cruche et s’y coince la tête, le père incise le nez d’un chameau afin d’y mettre un bout de bois et une corde pour tenir la bête en laisse, le fils aîné lâche des fucking life (sous-titre anglais oblige) à la face du monde et menace de quitter cette fucking life, etc. Quoi de plus banal que la vie au Kazakhstan ? Rien, si ce n’est l’attitude des êtres dans chacune des situations. Quand l’enfant mange puis s’endort, on a l’impression de voir un seigneur japonais s’assoupir dans un film de Kurosawa… Ou encore, quand la vache se coince la tête, on s’imagine qu’elle va se débattre, meugler à mort ; non, elle attend juste que quelqu’un vienne l’aider et l’épisode de la délivrance devient un grand moment de comédie. Dvorcevoj ne se contente pas de montrer le cycle de la vie, il redonne aux nomades la majesté qui leur sied. Ces gens semblent avoir une conscience du monde que nous, Occidentaux, déterminons avec peine la plupart du temps. Pourquoi la vache se débattrait-elle puisqu’elle sait que sa mésaventure va se résoudre avec le temps ? Scastje ne ressemble à rien, et pourtant il porte en lui une idée du monde à laquelle très peu de films peuvent prétendre. L’essence du réel est ici et non ailleurs, là où une vache paraît plus sage que le dalaï-lama. Il semble que les films documentaires possédant le dispositif le plus simple sont ceux dont la mécanique paraît la mieux réglée.
Les rouages de l’horreur de la guerre se mettent en branle dans Asyl, d’Ina Volmer. Le titre renvoie à deux interrogations avant même que l’image nous atteigne. Asyl ? S’agit-il là d’aliénation ou de terre d’accueil ? La force du film est de lier les deux. Dans un cadre dépouillé, une Bosniaque, dont on ne voit qu’un morceau d’épaule, raconte à un traducteur et une femme flic pourquoi elle a choisi la Suisse comme terre d’asile. Un plan pour comprendre la guerre en ex-Yougoslavie : il y a la voix de l’opprimé, la Bosniaque, l’écho qui nous parvient de cette voix, le traducteur, et le regard du monde occidental sur cette voix, la femme flic, le tout sur fond de mitraillage fourni par une machine à écrire. De cet interrogatoire basique imposé à tout clandestin, on va basculer dans un délire dont même Terry Gilliam ne soupçonnerait pas l’existence. La Bosniaque visiblement éprouvée se trompe de date pour l’événement qui l’a décidée à fuir son pays : la destruction d’un pont. Elle déclare qu’il a été détruit un 31 avril et là, un sourire s’imprime sur le visage du traducteur et de la femme flic car il n’y a pas de 31 au mois d’avril. Le fragment de réalité, ce petit morceau d’épaule, vient bien de se cogner dans la gueule de l’Europe et de sa superproduction guerrière, celle où l’on ne paie pas les figurants. Asyl nous rappelle combien l’Europe voudrait nous faire croire que le conflit en ex-Yougoslavie n’est qu’une fiction de plus. Ina Volmer a filmé des dizaines d’heures d’interrogatoires, son film ne dure que quinze minutes mais suffit à résumer le regard de l’Europe sur plusieurs années de conflit.
La quête d’identité est peut-être le fil conducteur de Julie, itinéraire d’une enfant du siècle de Dominique Gros, où l’on suit pas à pas une mosaïque humaine : Julie. Après avoir été catcheuse comme sa mère, strip-teaseuse, chroniqueuse à Radio Nova et internée deux ans dans un centre de désintoxication, Julie part sur ses propres traces. Collée à ses basques, la réalisatrice peint le portrait d’une femme qui se soigne à coups d’antidépresseurs et écrit pour refréner ses crises d’angoisse. Julie concentre en elle une partie des maux de cette fin de siècle et expose avec son vocabulaire un beauf devient un normaupathe et son humour spontané deux ou trois choses qui pourraient sortir la populace de ses angoisses existentielles.
Les moyens d’exister sont au centre de Rêve d’un jour, le film de Jean-Louis Comolli sur le défunt quotidien Le Jour. Comolli a proposé à Catherine Delgado, ancienne journaliste du Jour, « d’aller à la rencontre de ses camarades d’hier » afin de mieux comprendre peut-être la vie et la mort de leur canard. Là encore, le dispositif est simple. Ce sont souvent des gens filmés frontalement, chez eux, dans une lumière naturelle parfois les visages sont esquissés dans la lumière ou le noir. Mais ce qui importe dans le film de Comolli, ce n’est pas tant l’image que la parole et la capacité d’écoute des uns et des autres. La mort du journal, dont chacun parle mais à laquelle personne ne trouve ou ne donne de réelle explication, est finalement ce qui permet de faire vivre la parole aujourd’hui. Là, on comprend que ce n’est pas forcément dans les arcanes de ce qui donne à voir le monde au quotidien que l’on arrive à entendre ou écouter ce que dit son voisin. Vie et mort du Jour comme explication de la différence entre langage universel et communication interne.
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