Expériences. De Belfort, on retiendra quelques beaux premiers films qui inventent des dispositifs expérimentaux inédits. A Belfort, on trouve des bons et des mauvais films, des amis et des emmerdeurs, un vieux maître italien et un canadien déjanté qui sait se souvenir de Blow up quand il tourne Crash, et même un ministre de l’Intérieur […]
Expériences. De Belfort, on retiendra quelques beaux premiers films qui inventent des dispositifs expérimentaux inédits.
A Belfort, on trouve des bons et des mauvais films, des amis et des emmerdeurs, un vieux maître italien et un canadien déjanté qui sait se souvenir de Blow up quand il tourne Crash, et même un ministre de l’Intérieur miraculé, revenu dans sa bonne ville pour honorer Janine Bazin, son amie de vingt ans qui est aussi la nôtre. Il y avait à boire et à manger, à prendre et à laisser, de quoi s’émouvoir et de quoi s’agacer. Mais comme l’agacement est un sentiment passager, on oubliera vite un méchant documentaire « à sujet fort » qui se voudrait vachement culpabilisant alors qu’il n’est que racoleur (Fragments sur la misère de Christophe Otzenberger), ou une interminable pochade adolescente dont l’intérêt est inversement proportionnel à l’arrogance sectaire de ses participants (La Révolution sexuelle n’a pas eu lieu de Judith Cahen). En revanche, il faudra désormais compter sur Yves Caumon (La Beauté du monde), Sophie Brédier et Myriam Aziza (Nos traces silencieuses), et Anri Sala (Intervista, quelques mots pour le dire…).
S’il est souvent sur le fil du rasoir du chromo déiste et du naturalisme prétendument malaisant tendance La Vie de Jésus, La Beauté du monde échappe à la lourdeur symbolique qui le menace grâce à un sens très affirmé de la durée et de la tenue des plans. Caumon montre des personnages égarés de solitude dans une nature aussi belle qu’indifférente en conservant toujours une part d’ambiguïté : filme-t-il les inquiétantes manifestations de la folie ou bien les étapes escarpées du chemin vers la sainteté ? Il montre que les deux hypothèses sont toujours liées et bâtit son projet sur l’ombre du doute. Le résultat est fort et original. Deux adjectifs qui conviennent parfaitement au documentaire autofictionnel de Brédier et Aziza. En partant de l’idée que ses cicatrices sont autant de traces qui contiennent la partie enfouie de son histoire d’orpheline coréenne adoptée par une famille française, Brédier se lance dans une exploration sensitive de la mémoire latente. Sous le regard de sa complice, elle interroge sans relâche son corps écrit, et parvient ainsi à se frayer un chemin vers une unification incomplète mais vitale. Le plus beau étant la manière dont le film englobe un champ de plus en plus vaste sans renoncer à la modestie rigoureuse de son dispositif.
En tentant de faire parler une bobine de film muet qui montre le passé officiel de sa mère (elle était responsable des Jeunesses Communistes en Albanie), et en la soumettant vingt ans après à son regard incrédule, Anri Sala invente lui aussi une geste cinématographique qui allie exploration du très intime et questionnement historique. Là encore, le film est réussi, parce qu’il cherche moins à régler des comptes qu’à éclairer une zone d’ombre afin de parvenir à une forme de réconciliation lucide. Pour capter un réel toujours fuyant, Sala et Brédier/Aziza ont dû concevoir des dispositifs expérimentaux inédits qui leur permettent de retrouver des corps à travers le temps, ou l’inverse. Cronenberg comme Antonioni peuvent donc être fiers d’eux.
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