Le festival du documentaire de Marseille rend hommage au grand cinéaste indien méconnu, Ritwik Ghatak.
La cinéphilie est ainsi faite qu’elle a souvent tendance à associer à un pays un unique cinéaste – et tant pis pour les autres. Pour l’Inde, c’est ainsi Satyajit Ray qui vient immédiatement à l’esprit. Pourtant, dans les années 1950-60-70, un autre réalisateur (au moins !), du nom de Ritwik Ghatak, éclaira de sa majesté les salles obscures indiennes, sans réussir néanmoins à conquérir le public au-delà du Gange, avant d’être progressivement découvert en Occident dès les années 1980.
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Pour sa 21e édition, qui se tient du 7 au 12 juillet, le Festival international du documentaire (FID) de Marseille a l’excellente idée de proposer une rétrospective de sa carrière. Articulée en deux parties, elle s’étalera sur deux ans, et l’on ne verra cette année que les fictions, un paradoxe dont le FID s’accommode très bien depuis que son directeur, Jean-Pierre Rehm, a décidé il y a trois ans de décloisonner les genres.
Ritwik Ghatak, donc, est un cinéaste bengali, à l’instar de son collègue et ami Satyajit Ray, si ce n’est qu’il vient, lui, de la partie orientale du Bengale, renommée Bangladesh. La partition violente du pays, en 1947, fut l’événement marquant de la vie de Ghatak, et elle revient, tel un spectre, hanter régulièrement sa filmographie, interrompue en 1976 par la maladie, ce qui acheva d’en faire un cinéaste maudit.
Alcoolique notoire, bougon patenté, marxiste convaincu, Ghatak n’a cessé de travailler dans ses films les motifs de la rupture, de la lutte, de la scission. C’est ainsi que Mi bémol, l’un des plus beaux films des six dévoilés à Marseille, ne se contente pas d’aborder le thème de la séparation par son scénario (une actrice de théâtre quitte sa troupe pour l’amour d’un acteur travaillant dans une troupe concurrente), mais l’inscrit aussi au coeur de sa mise en scène.
Avançant par à-coups et fulgurances, ruptures de ton et mélange des genres, travellings sophistiqués et gros plans flamboyants, ce somptueux mélo fait preuve d’une audace constante, qui aurait dû logiquement placer Ghatak très haut dans la constellation des auteurs, au lieu d’en demeurer une Etoile cachée (titre d’un autre de ses films).
Aux côtés des compétitions française et internationale, l’autre temps fort du festival est un cycle intitulé “Anthropofolies”, qui tentera, en vingt-cinq films (et autant de vidéos présentées parallèlement dans deux galeries d’art), de tendre un pont entre cinéma anthropologique et pratiques expérimentales (au sens large).
Construite autour des Maîtres fous de Jean Rouch, cette programmation a pour fil rouge la façon dont, via le rituel, des individus parviennent à s’extraire de leur condition et à redistribuer esthétiquement les cartes. L’occasion de découvrir quelques raretés ou inédits, comme l’éblouissant Perfumed Nightmares de 1978, où le Philippin Kidlat Tahimik documente son voyage en Europe à la façon d’un work in progress déluré ; ou encore Trash Humpers, le nouveau film d’Harmony Korine, geste punk et violemment dégénéré (jusqu’au dégoût), qui voit le réalisateur de Gummo et ses amis se déguiser en vieillards pervers pour faire l’amour à des poubelles…
Festival international du documentaire de Marseille Du 7 au 12 juillet /// www.fidmarseille.org
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