Vendredi 28 janvier s’ouvrait la nouvelle édition du festival du court métrage de Clermont-Ferrand. Avant le palmarès du 5 février, retour sur nos six découvertes.
Léo la nuit de Nans Laborde-Jourdaà
Deuxième court métrage du comédien Nans Laborde-Jourdaà, Léo la nuit est l’une de ces histoires de père malgré lui (Paul, interprété par le cinéaste), d’homme-enfant dont le cinéma a rendu la marginalité attachante jusqu’à ce qu’elle devienne aujourd’hui quelque peu dépassée. Léo la nuit, en bon petit cousin du Lenny and the Kids de Ben et Joshua Safdie, n’en dépoussière pas le mythe mais s’attaque avec plus d’inspiration à la famille monoparentale (et plus généralement aux rôles auquel on voudrait nous astreindre), avec ici, une mère et un père homosexuel, bons amis mais pas amants. Suivant le temps d’une journée le petit Léo et Paul, papa intermittent et de garde ce jour-là, d’une animalerie à une chambre d’hôtel, Léo la nuit, d’un charme irrésistible, vagabonde comme son personnage de place en place sans jamais se fixer. Au contact de Paul, le quotidien se fait buissonnier, l’aventure est au coin des rues, des parcs et l’allégresse du temps de l’enfance (partagée à tout âge et sans doute éternelle) a la belle lueur des fins d’après-midi et des chaudes nuits d’été.
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La Marche de Paris à Brest de Vincent Le Port
Alors qu’au mois de mars sortira son impressionnant et premier long métrage Bruno Reidal, Vincent Le Port, auteur remarqué de très beaux courts (Le Gouffre, Nouveaux Nés…) présente cette année un nouveau film à Clermont. Reprenant trait pour trait le dispositif d’un film de 1927 signé Oskar Fischinger (La Marche de Munich à Berlin), La Marche de Paris à Brest restitue le même geste entrepris par le peintre et cinéaste expérimental allemand : une marche d’un mois documentée par de très courtes séquences en noir et blanc semblables à un assemblage de photogrammes révélant les infimes péripéties du voyage (des plans de villes, de villages, de champs, de clochers d’églises et de visages de celles et ceux croisé·es au détour d’un chemin). En un très brève durée (6 min), le film – qui se lit également comme un modeste et brillant essai ludique sur le cinéma – fait éprouver dans une frénésie quasi épileptique ce temps long, et ici rétréci, de la marche et s’offre comme le roman pastoral d’une France sans âge.
Le Cormoran de Lubna Playoust
Une femme (Lubna Playoust, devant et derrière la caméra) et son petit garçon débarquent sur une île. Quelque part, ailleurs, plus loin, une autre (Mireille Perrier) et son fils (Robinson Stévenin) se retrouvent pour vendre la maison de famille chargée en souvenirs. Balancé entre un passé et un présent aux contours flous, le film ne fait pas tout de suite état de ses enjeux et avance comme un récit de pirates solitaires, avant que l’incessant mouvement d’aller-retour n’en détaille le cœur battant. Huis clos temporel, Le Cormoran reconstruit un monde à la cinégénie impeccable et habitée où tout, des lieux parcourus à la texture d’un feuillage ébouriffé, d’un reflet d’eau sur une mer calme jusqu’aux visages de ses interprètes fantômes s’anime comme une matière sensible. Dans ce paysage isolé où se déploie un romanesque balnéaire inquiétant, dans cette maison témoin d’une vie traversée par les doutes de la jeunesse et les apprentissages de la vieillesse, se dessine une subtile relation mère-fils doublée d’une vision complexe de la maternité.
Le Boug Doug de Théo Jollet
Imaginez une fusion entre des univers aussi divers et éloignés que ceux de Bruno Dumont, Quentin Tarantino ou Caroline Poggi et Jonathan Vinel. Ajoutez à cela une esthétique de clip rétro (sur le son d’Ogrask), des sapes années 1990, des grands gamins excités mais désœuvrés, une drôle de fusion entre un naturalisme crasseux et un univers proche du jeux vidéo, et vous aurez peut-être un bref aperçu de ce à quoi ressemble Le Boug Doug. Si le film aligne à peu près tous les signaux de l’ultra-contemporain, l’excès de style ici ne sonne pas creux et ne sent pas le toc. Au contraire, Théo Jollet construit un monde qui, à travers une intrigue bric-à-brac (une mystérieuse femme cagoulée tente de séduire le jeune Doug), dessine un patchwork faussement désorganisé d’intrigues souterraines commentées par un narrateur et amateur de weed aux airs de tragédien.
Les engloutis de Caroline Guiela Nguyen
En octobre dernier, la dramaturge Caroline Guiela Nguyen présentait à l’Odéon-Théâtre de l’Europe son nouveau spectacle Fraternité, conte fantastique, une fable SF à la Leftovers dans laquelle elle et ses acteur·trices venu·es de partout (du théâtre et de la rue) imaginaient un monde dans lequel la moitié de la population aurait disparu. Confrontés à la violence de cette volatilisation, les restants se seraient alors regroupés et soutenus dans des centres de consolation où ils·elles tenteraient coûte que coûte de communiquer avec l’autre monde. Avec Les Engloutis, Caroline Guiela Nguyen prolonge sa tragédie hautement lacrymale via le cinéma. Elle en reprend la trame, mais organise ici les retrouvailles entre les restants et les absents sur lesquels le passage du temps n’aura eu aucun effet. Tourné avec les prisonniers de la maison centrale d’Arles, le film se pare d’une dimension méta et d’une réflexion bouleversante sur le quotidien et les conditions de vie de ces apprenti·es comédien·nes.
Safe de Ian Barling
Un vieux casino à l’abandon peut-il être la scène d’une tragédie familiale ? C’est avec cette intuition et une attention toute particulière portée au lieu qu’Ian Barling, jeune cinéaste américain, paramètre son histoire dans laquelle un père (Will Patton) tente, une nuit d’hiver, à Atlantic City, de réparer une erreur commise par son fils (Philip Ettinger) et peut être de se sauver lui-même. Présenté à la Semaine de la Critique, Safe, d’une épure cristalline, fait l’effet d’un train qui s’enfoncerait dans une nuit sourde et inerte. Dans cette minimaliste étude d’une relation père-fils accrochée à l’immensité d’un décor dévitalisé et désespéré, le film interroge l’effondrement d’une autorité supérieure qui semble fléchir et offrir, qui sait, un chemin nouveau vers la rédemption.
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