Rencontre au Festival d’Estoril avec Werner Schroeter, un cinéaste méconnu mais majeur, en prélude à son retour au cinéma.
Les histoires officielles sont parfois bien oublieuses. De l’exceptionnelle refloraison du cinéma allemand dans les années 70, un seul bourgeon a fini par cacher tous les autres : Rainer Werner Fassbinder. Et la façon dont elle a fini par se substituer à tout le cinéma allemand d’après-guerre est quand même assez injuste. Il serait urgent par exemple de revoir à la hausse l’œuvre des deux grands Werner, tous deux à la croisée du moderne et du baroque : Herzog et Schroeter. Venu à la première édition du Festival européen d’Estoril pour animer une master class et présenter une exposition, Werner Schroeter, qui n’avait pas tourné depuis plus de cinq ans (Deux, en 2002 avec Bulle Ogier et Isabelle Huppert), a donné de ses nouvelles. Elles sont bonnes. Essentiellement occupé à monter des opéras ces dernières années, le cinéaste prépare son prochain film, dont le tournage devrait démarrer début 2008 à Porto. Il s’agira d’une adaptation d’un roman de l’écrivain uruguayen Juan Carlos Onetti, Une nuit de chien.
Lors de sa master class, Werner Schroeter a défini sa conception du cinéma consistant à “déranger le regard du spectateur de façon positive”. Extravagance de récits proliférants, flamboyance formelle, son cinéma n’a jamais dérogé à cet impératif de l’étonnement, de ses premiers films en 16 mm (dont le cultissime La Mort de Maria Malibran jusqu’aux films plus narratifs comme Le Règne de Naples en 1978). L’œuvre reste rare, les négatifs dispersés, mais le cinéaste affirme que la Cinémathèque française travaille à réunir l’intégralité de l’œuvre dans l’optique d’une grande rétrospective et d’une édition DVD. La master class comportait une surprise : la projection d’un film jamais montré, Weiße Reise, véritable bijou d’esthétique punk et love-story gay entre marins, entre Genet et Pierre & Gilles. On y voit défiler quelques figures de l’underground de l’époque, Margareth Clémenti et Maria Schneider, le temps de vignettes excentriques et hargneuses.
Le morceau de choix était l’exposition de ses photographies. Depuis ses débuts, le cinéaste prend au Polaroid ses proches et en fait d’immenses tirages. On y voit Carole Bouquet en 1981 (l’année où le cinéaste lui offre son plus beau rôle dans Le Jour des idiots), d’une beauté inquiétante et surnaturelle ; Magdalena Montezuma, actrice fétiche de Schroeter, chuchotant quelques mots dans la loge de Bulle Ogier en 1973 ; Antonio Orlando, éphèbe spectral étendu sur une plage en 1978. Toute l’avant-garde d’une époque est saisie dans la fulgurance de sa jeunesse et dans l’intimité. Plus de deux cents Polaroid de Schroeter seront présentés à Berlin début 2009, date à laquelle devrait être prêt son nouveau film. L’occasion de faire à nouveau le point sur un cinéaste méconnu et majeur.